Par Astrid de Laage

À seize ans, j’ai eu un job d’étudiante dans un coffee shop chic de Belfast. Le pâtissier avait de grandes espérances. Parfois, il venait au restaurant pour préparer « Le Gâteau de l’Année ». Ces jours-là étaient terribles. Il fulminait en claquant la porte de la cuisine derrière des heures d’expérimentation. Des odeurs de beurre et de sucre brûlé se coulaient sous la porte pendant qu’il criait, Je ne réussis jamais ce gâteau que j’ai en tête !

Jusqu’à ce que, quelques rêves et des heures de travail plus tard, le fameux « Gâteau de l’Année » sorte enfin de la cuisine. Le pâtissier avait eu sa vision !

Écrire, ce n’est pas du gâteau. Cela vous parait évident. Pourtant, tout le monde ne sait pas ça. Et quel plaisir d’enfoncer les portes ouvertes, quand ce sont celles de la cuisine pour jeter un œil dans les coulisses. Nous y voilà,  dans cette chambre à nous, devant la face cachée de l’écriture. Les têtes se balancent au-dessus du papier et dans le silence, on peut entendre les phrases se répondre comme les riffs d’un morceau de jazz.

Dans un article de Poets & writers (septembre-octobre 2013) intitulé « Que peut-on attendre d’un MFA (Master in Fine Arts) en écriture », le romancier Ron Carlson de l’Université de Californie explique : « Tu peux travailler les points techniques avec un auteur, pointer ce qui est banal et l’encourager à creuser plus profond, pour essayer d’aborder l’expérience avec plus de fraîcheur. (…) Mais tu ne peux pas enseigner l’intuition, tu ne peux pas enseigner la vision. »

Écrire, comme cuisiner, n’est pas une science exacte. Tu avais tous les ingrédients, mais le gâteau n’a pas levé ? As-tu pris des risques avec les proportions ? Tu te dis que décidément, tu ne sais pas cuisiner. Ou que ce professeur n’a pas su te montrer comment faire, te transmettre le geste à acquérir ? Au moins, maintenant, tu sais que pour écrire, mieux vaut être boulimique… de travail.

Ce n’est pas un plat sous cellophane à consommer devant la télévision. Les lecteurs (ceux qui seront invités au banquet que tu prépares) ne verront jamais l’envers du décor, les casseroles qui auront servi à préparer les plats.

« La centrale des machines n’a rien de folklorique, ni de très rutilant, explique Chloé Delaume dans Neuf leçons de littérature. Je transverse dans une casserole en fonte et fais fondre à feu tendre. Dans la vapeur s’exhalent des phrasés volatiles. (…) Ce que je fabrique, voyez- vous, ce n’est pas difficile à comprendre. »

L’atelier d’écriture reste un de ces lieux dont on a besoin pour expérimenter, questionner, parler des textes et comprendre qu’écrire va au-delà de l’expression de soi.

Il s’agit plutôt de trouver comment faire avec les mots pour en extraire « la part des anges » : un texte qui a du jus. Pas une chose plate, sans goût, avec des phrases toutes cuites.

Et un jour, pourquoi pas, écrire le « livre de l’année » !

Par Astrid de Laage (Le Coin bleu,  Bruxelles). Janvier 2014