Alain Borer : « La liberté et l’expression sont au cœur de la langue française »

La dernière livraison de La Nouvelle Revue Française est consacrée à l’état des lieux de la langue française. Qu’est-ce qui en fait la particularité, le mystère ? Ne serait-ce pas sa structure, la grammaire ? Une contrainte avec laquelle il faut savoir jouer pour s’exprimer avec toute la clarté nécessaire. Plongeons dans un entretien avec Alain Borer, poète et essayiste, mené par Michel Crépu, directeur de la revue, dont il résume ainsi la teneur : « La musique de la langue française conjugue la transparence liquide avec l’arrête du silex ».

Pour Michel Crépu, la beauté de la langue française tient dans sa musicalité, surgie d’une partition rigoureuse, la grammaire. C’est cette rigueur de la langue dont s’empare Alain Borer pour nous en faire comprendre la philosophie. Il aborde pour cela d’emblée la représentation du sujet parlant, le locuteur.

En utilisant la construction grammaticale : sujet, verbe, prédicat, le français permet l’interruption du locuteur au moment de l’énonciation de sa phrase par le positionnement de son verbe (d’autres langues comme l’allemand, placent le verbe en dernier, il faut donc attendre que la phrase soit terminée pour en comprendre le sens).

Donner le verbe

Le fait de « donner le verbe » tout de suite est une manière de considérer son interlocuteur comme aussi intelligent que soi, et présupposant ainsi les principes démocratiques qui structurent la langue. Un rappel qui a toute son importance quand on sait que le français s’est largement répandu en Europe au Siècle des Lumières, marqué par l’invention de la première Encyclopédie, qui a diffusé l’idée de la connaissance pour tous. Ainsi, aux fondements mêmes de la langue française sont inscrits le plaisir de converser, et la liberté de le faire, en laissant une place à l’Autre. La liberté et l’égalité des points de vue, sont donc un des principes universalistes que porte la langue française.

La langue française est la seule langue qui ne prononce pas tout ce qu’elle écrit

Le second enseignement de cet entretien est de revenir sur un de ses aspects plus techniques.

La langue française est la seule qui ne prononce pas tout ce qu’elle écrit. Les pluriels sont rarement prononcés (Alain Borer reprend avec humour la première scène du film Topaze de Marcel Pagnol où l’instituteur dicte à ses élèves « Des moutons… étaient en sûreté dans un parc ». Puis s’apercevant de la faute d’un écolier, il reprenait «  des moutonSSS …». Ainsi, cette autre particularité de la langue est constituée par la vérification constante de l’oral à l’écrit pour s’assurer que ce qui est dit est parfaitement écrit. Un principe, le vidimus (vérification en latin) détermine pour Alain Borer la conception égalitariste de son interlocuteur par une exigence intellectuelle du maniement de la langue. « Par le vidimus, le locuteur met au point sa propre pensée avec exigence, et témoigne d’une haute idée de celui à qui il s’adresse. Il est une des caractéristiques de la langue française, fondamentalement personnaliste. Parler la langue française renvoie implicitement à un livre que l’on écrit-lit en commun, comme espace de vérification constante et souci de précision ».

Langue de conversation, de prévenance, de haute précision ; langue dont les temps permettent d’intégrer le passé simple dans l’imparfait, ouvrant la voie à la fiction romanesque, toutes ces singularités sont à retrouver dans ce très beau numéro de la Nouvelle Revue Française !

 

Pour aller plus loin :

Nouvelle Revue Française N° 683

Alain Borer : De quel amour blessée : réflexions sur la langue française, Editions Gallimard, 2014.

Écrivain-voyageur et poète, Alain Borer est né en 1949. Il a publié, notamment, « Rimbaud en Abyssinie » (Le Seuil, 1984) et, aux Éditions Gallimard, « De quel amour blessée » (2014), « Villeglé l’anarchiviste » (2019) et, en « Tracts de crise », « Le Retirement du monde » (avril 2020). Il a reçu le prix Édouard-Glissant pour l’ensemble de son œuvre en 2005.

[1] Revue NRF, N° 653. Mars 2022