Écrire au Domaine des Herbes à Touques avec Anne Baatard

Anne Baatard animera l’atelier « Écrire les 5 sens au Domaine des Herbes (Normandie) », un séjour d’écriture qui aura lieu du 7 au 11 Juillet 2023 à Touques. Une proposition originale pour aborder l’écriture autrement !

L’Inventoire : Vous animez régulièrement les stages des 6 modules de l’école d’écriture ainsi que plusieurs ateliers dédiés à la forme poétique. Comment avez-vous eu l’idée de travailler l’écriture à partir des 5 sens ?

Anne Baatard : Une écriture incarnée favorise l’émotion du lecteur, littéralement le touche. J’ai eu envie d’explorer la puissance des sensations dans le surgissement du texte. On en fait l’expérience en atelier, dans la lecture à voix haute, par exemple, qui permet une ponctuation par le souffle, plus vivante, organique.

J’ai eu envie d’explorer la puissance des sensations dans le surgissement du texte.

Vous citez la phrase de Paul Auster « Ecrire commence dans le corps ». Que pensez-vous qu’il entend par là ?

De nombreux écrivains ont souligné l’importance du corps dans l’écriture. Importance du geste pour le peintre et écrivain Pierre Alechinsky ou de la voix pour Marie-Hélène Lafon qui suggère de « faire monter le texte depuis le ventre ». Pour Marguerite Duras, « C’est ça l’écriture. C’est le train de l’écrit qui passe par votre corps. Le traverse ». Paul Auster apporte une nuance avec le verbe « commencer » : la genèse du texte serait-elle dans nos muscles, nos entrailles ? Dans l’ancien testament, un prophète subit l’injonction de manger les livres pour incarner la parole… Ou à fleur de peau, comme autant de sources et de refuges pour les émotions et la mémoire ?

Quelles formes allez-vous travailler sur 5 séances ? Est-il question plutôt d’écrire « autrement » (à partir des 5 sens), ou de travailler différentes formes littéraires, ou les deux ?

Bien sûr nous possédons plus de 5 sens, c’est un peu arbitraire, mais cela fonctionne comme une boussole. Nous explorerons l’écriture autour de ces points cardinaux. Chaque sens sera le point de départ de variations d’écriture. La diversité des propositions sera au cœur de ce dispositif qui conduira les participants vers l’écriture de formes brèves. On tentera des expériences (écrire les yeux fermés, par exemple), on s’inspirera d’une chanson de Camille, de la poésie sonore d’Henri Chopin ou des notes d’un célèbre parfumeur.

Comment garder une légèreté en animant un stage d’écriture ? Est-ce par une forme d’animation un peu ouverte où le plaisir d’écrire prime ?

Le plaisir est central, mais hélas, il ne garantit pas la légèreté, par essence très volatile et surfant sur les profondeurs ! C’est l’énigme de la phrase de Paul Valéry (on n’est jamais tout à fait sûre de la comprendre…) : « Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau ».

L’atelier se situe dans cet apparent paradoxe : l’écriture travaille avec la mémoire, les fantômes, le poids du temps et de la vie et l’effervescence de l’instant et de la joie.

Quel livre avez-vous lu récemment qui vous a particulièrement évoqué la puissance d’un univers riche et incarné ?

Au moins nous aurons vu la nuit d’Alexandre Valassidis, 1er livre d’une nouvelle collection dirigée par Clément Ribes (Scribes), 1re fiction en prose d’un poète qui donne à ressentir un univers à la fois flottant, hypnotique et palpable par un travail très singulier de la phrase courte et de la ponctuation.

Je vais mettre votre question au pluriel et évoquer aussi Une heure de ferveur de Muriel Barbery. Haru Ueno, marchand d’art à Kyoto, un homme sensuel et solaire, y perdra justement sa légèreté dans le séisme d’une histoire d’amour et l’impossibilité de vivre sa paternité.

J’ai aimé l’écriture de la neige, du froid, du désir, de l’ivresse, de la passion pour la peinture. Et retenu cette mise en garde : « Un homme qui croit se connaître est dangereux ». Cela vaut sans doute pour l’écriture où tout ce qui nous échappe mène facétieusement la danse.

Inventoire

Anne Baatard a exercé le métier de libraire et coordonné des projets d’édition. Sa bibliothèque traverse le temps et les frontières en compagnie de Bashô, Montaigne, Cendrars, Modiano, Murakami, Sophie Calle, Cécile Coulon… Formée par Aleph Ecriture à l’animation d’ateliers, elle est aussi biographe.

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