« La Grande Maison », Danièle Pétrès (L’Ourse brune)

Retrouvez cet été les recommandations de lecture des formateurs d’Aleph-Écriture deux fois par semaine. Chaque article débute par la première phrase d’un roman, recueil poétique ou texte court. Aujourd’hui, le conseil de lecture d’Astrid de Laage.
La Grande Maison, Danièle Pétrès, éditions L’Ourse brune

Elle s’assied à ma table.

À l’occasion d’un anniversaire, la narratrice revient dans la Grande Maison où elle travaillait. Elle retrouve ceux qui y sont encore, leurs visages et leurs gestes sont encore inscrits dans la mémoire de l’entreprise qu’elle a quittée.

Dans cette nouvelle, aux phrases ciselées, Danièle Pétrès nous fait découvrir les différentes facettes de la Grande Maison, entreprise de haute couture, lieu de création de la beauté et du rêve. Elle nous fait entrer dans cette maison où les « stars de l’ombre » évoluent avec discrétion jusqu’au grand défilé. Le texte est habité comme les lieux, de parfums subtils, de bruissements d’étoffes, de silhouettes aux mains habiles aperçues comme par effraction dans l’embrasure des portes. Les plumassiers, le coupeur de flou, l’infirmière, tous aiment assez la Grande Maison, « assez pour souffrir d’elle ». C’est une question de place, d’identité. La Grande Maison est éternelle, alors que ses petites mains passent au fil des collections.

On entrevoit des regards, des histoires s’esquissent à la machine à café, comme les déceptions, les sacrifices au milieu des sequins, des paillettes. L’écriture est fluide, telle ces shantungs, ces matières qui ondoient et scintillent. Ou parfois incrustée, au milieu de la sensation de douceur qui émane du texte, ces phrases qui éclairent et révèlent les ombres.

« Pourtant, ils ont mal à elle comme ils ont mal au cœur, ils l’aiment sans pouvoir en partir, sans toujours trouver les mots pour faire face au chagrin de ceux qui la quittent. Alors oui, partir de cette entreprise c’est comme une petite mort peut-être ; elle qui dévore tous ceux qui l’approchent, promet beaucoup, donne un peu, mais laisser partir les rêveurs, les passants du désir, les éblouis de beauté. »

C’est un texte sur le lien qui unit chacun à l’entreprise, comment il se transforme, libère ou emprisonne. La nécessité, mais aussi le vide qu’elle laisse parfois. Existentiel. La Grande Maison, c’est aussi une histoire d’amour et de réparation. Avec ses déchirures, ces « doigts un peu abîmés par les épingles », ces blessures qui donnent sens à une vie. Et ce qu’il reste quand il faut en partir. Alors le texte s’ouvre vers cet autre horizon, dans la nuit. Ce qui donne l’envie de partir aussi, avec les personnages, ou de se retourner pour relire encore. Comme cette sensation que l’on a en lisant d’être à l’intérieur et déjà sur le départ.

« On ne part pas de la Grande Maison, on ne cesse pas d’en être, on décide juste un jour de tourner la page. »

AdL

Astrid de Laage anime des ateliers à distance, ainsi que des ateliers et des stages auprès d’Aleph-Écriture en Charente-Maritime. Elle a participé à la 26ème Conférence sur Virginia Woolf à Leeds, « Virginia Woolf et son héritage ».

Dernier ouvrage paru : « De la main d’une femme », éditions Grasset (2023).