« De la main d’une femme » Astrid de Laage (Éditions Grasset)

Second roman d’Astrid de Laage « De la main d’une femme » est sous-titré « Charlotte Corday, une femme en quête de liberté ». Dans ce roman, l’autrice se met dans les pas de sa lointaine cousine, en ce jour du 13 juillet 1793 qui de Caen, va la mener à Paris au domicile de Marat.
Béatrice Limon animera une rencontre avec Astrid de Laage, dans les locaux d’Aleph, le 24 janvier 2024. La proposition d’écriture du mois de janvier de L’Inventoire, sera également dédiée à ce livre.

« Ne pas parvenir à me faire une idée claire de Charlotte revient à ne pas savoir de quoi je suis constituée. Je dois faire moi-même ce voyage ». Indique Astrid de Laage dans les premiers chapitres de son livre.

Alternant en parallèle l’enquête menée par l’autrice, et la narration par Charlotte Corday des journées qui ont précédé son acte; à travers lettres et objets, Astrid de Laage cherche les éléments permettant de composer un portrait précis de Charlotte Corday, peut-être pour lui redonner une place dans une lignée de femmes qui n’a pas eu accès à sa mémoire.

Qui était vraiment Charlotte Corday ? « Ange de l’assassinat » pour Lamartine, héroïne déterminée à sauver son pays de la Terreur ou fragile jeune femme instrumentalisée par des Royalistes ? Tandis que Marat, journaliste, médecin et député Montagnard, dénonce l’immobilisme des Girondins dans son journal « L’Ami du peuple », des complots issus des mêmes rangs se fomentent contre lui à Caen. Charlotte Corday, chassée de l’Abbaye où elle poursuivait son éducation, est depuis peu revenue dans sa famille, terreau d’une noblesse désargentée où elle se trouve sans avenir.

« À Caen, elle a entendu qu’il est question de tuer Marat et elle a choisi de devancer la troupe de jeunes hommes qui sont en route pour Paris. Il ne méritait pas tant d’honneur, il suffisait de la main d’une femme, écrira-t-elle à Barbaroux. Son sacrifice lui semble préférable à celui de ces jeunes soldats ». (p. 96)

« Le ferais-je ou ne le ferais-je pas ? ».

« Elle n’a pas de goût pour le mariage. Reprenant sa marche le long des devantures, elle pense à ce carré de lin qu’elle a laissé derrière le miroir de sa chambre. C’est un ouvrage au petit point qu’elle a commencé le jour de la parade organisée par le général Wimpffen à Caen pour recruter des soldats volontaires la semaine précédente. Comme un oubli, un dernier message ou une provocation, elle y a brodé cette phrase « Le ferais-je ou ne le ferais-je pas ? ». (p. 32)

Au-delà de la compréhension des motivations de son geste, l’autrice donne voix à la personnalité de Charlotte Corday, prisonnière des contraintes pesant sur les femmes de son temps.

En fil rouge de cette enquête, deux images. Celle, magistrale, peinte par Marat le jour de sa mort, et celle de Charlotte peu avant son exécution, réalisé dans sa cellule par Adam Lux, fasciné par l’aura de sa jeunesse. La jeune femme n’a que vingt-quatre ans.

Ce tableau, toujours caché dans les différentes demeures de la famille, sera légué de génération en génération sans toutefois refermer une blessure toujours tue, parce qu’innommable. Un portrait caché, et un portrait connu dans le monde entier racontent le destin assigné à une femme par delà les époques.

« La mort de Marat », tableau de Jacques-Louis David, ami du député Montagnard, reste en effet très présent dans l’inconscient collectif. Tableau inhabituel, composé à la manière d’une photographie de scène de crime, il a restitué la crudité du meurtre d’un homme saisi dans sa plus stricte intimité; tué dans sa baignoire « de la main d’une femme » (redoublant ainsi le scandale). Peint sur un fond totalement vide, le tableau restera plus frappant que ceux que David peindra plus tard, tel le Couronnement de Napoléon.

Astrid de Laage, dans ce portrait en forme de thriller psychologique, réussit à faire ressurgir les protagonistes d’un drame de la Révolution française de manière aussi captivante qu’un polar, en y posant un regard actuel. Il aura fallu plus de deux cent ans, pour que sa descendante rende à son ancêtre toute son humanité. Une passionnante enquête autour d’une parente dont le portrait se transmet comme une blessure, une interrogation, dans le refus de l’oubli, et dans le refus d’en parler jusqu’à aujourd’hui.

Danièle Pétrès

Pour s’inscrire à la rencontre avec Astrid de Laage, suivez ce lien !

Née en 1967, Astrid de Laage fait des études de lettres et de science politique. Elle travaille chez Larousse, puis participe à la création d’ateliers d’écriture à Lille et à Bruxelles avant de rejoindre Aleph-Ecriture.

Elle vit en Charente-Maritime. Ses nouvelles Funambules, sont parues en 2012. Son premier roman Le ciel bleu n’est pas photogénique, en 2019.

Second extrait :

« Je n’aime pas les châteaux. J’ai trop entendu parler des problèmes de toiture et d’héritage, des corvées de feuilles, de ces salons où l’éternité s’est installée dans l’odeur des tapisseries, des fauteuils inconfortables et raides qui portent le nom des rois de l’époque, ces Louis si respectables. J’aime mieux les jardins, et il flotte une tendresse ce jour-là dans la lumière d’automne qui filtre à travers les arbres du parc. C’est à la même saison, en octobre 1789, que la famille royale a quitté Versailles pour les Tuileries. La Cour est alors dispersée, les meubles ont été vendus, parfois détruits. On dit que les gens erraient dans les couloirs vides ; certains, devenus fous, parlaient seuls. N’ayant vécu ailleurs qu’entre ces étoffes dorées, le monde leur faisait peur, ils n’en connaissaient rien. C’était, j’imagine, comme sortir du ventre de sa mère déjà vieux, mais encore naïf » (P. 41).