En réponse à la proposition d’écriture de Laurence Faure à partir de « Premier Sang » d’Amélie Nothomb, nous avons sélectionné 8 textes parmi ceux des participants. Voici celui de Florence Rampon.
Tribu

Même du peu de haut de mon jeune âge, l’argumentaire développé par ma mère m’apparaissait légèrement gonflé. Dans tous les sens du terme, d’ailleurs.

La dispute familiale avait démarré de peu. Pour tout dire, je ne savais ni de quoi ni quand.

Je n’avais pas dû faire attention.

Je me laissais jusque-là doucereusement bercer par le flot ininterrompu des voix féminines et masculines qui transportaient les passions habituelles.

Dans le ventre de ma mère, je devais déjà baigner dans ces longues tirades qui n’arrivaient jamais au bout, immanquablement arrêtées pas des rires, des contre-ut, des désapprobations pour la forme.

Tous les samedis soir, les adultes entraient dans la danse des mots plus hauts que ceux des autres. Je crois que ça a vaguement à voir avec la sensation d’exister.

Aujourd’hui, mon oreille a été alertée par un couac dans la ritournelle tribale.

Quelque chose a cloché.

Une voix.

Celle qu’on n’entend jamais.

Celle de la pièce rapportée.

Celle de mon père…

Mon père a parlé au milieu des autres.

Mon père a parlé !

Papa, ne fais pas ça, tu vas te faire bouffer tout cru !

Papa, pourquoi ajouter ta voix à cette cacophonie sans sens ?

Moi, je l’aime ta voix qui ne parle que quand elle a quelque chose à dire.

Quelque chose. Pas n’importe quoi.

Pourquoi la jeter en pâture à ces gorges éternellement déployées ?

Je le regarde d’où je suis comme pour l’accompagner filialement.

Sans me voir, il tend la main vers le milieu de la table.

« Je reprendrais bien de votre riz, belle-maman. »