Le temps des maisons / Semaine 4 : Rose Lynn

En réponse à notre appel à écriture, « L’affût un style de vie », voici un texte et un dessin de Rose Lynn

AUX AGUETS

De l’épi-centre à l’épi-tête, j’épie tout, tout le temps, je ne peux pas m’en empêcher. J’étudie chaque geste, chaque ombre derrière les fenêtres, un mouvement, une lumière qui s’éteint, les heures, les absences, les venues, les allées, les hommes, les femmes, les livreurs et même les chats … alors je note, je compare, je précise, je classifie… Epier c’est un métier ! Il faut faire le guet toute la journée, posté derrière la fenêtre, dans le cabanon du jardin, accroupi derrière le muret ou tassé dans sa voiture devant chez l’épicier Remarquer le moindre petit détail, les tremblements, les sourires, les défaillances et les petits secrets. Je dresse des listes, puis j’en  fais des graphiques colorés C’est comme dresser une embuscade aux petits faits, ceux de sa femme, de son patron, de la voisine, du passant ou du laitier.

Etre aux aguets comme être aux anges, surveiller tout, les deux pieds bien campés, mais l’esprit toujours en ébullition pour déduire, aligner, questionner. Oui rester toujours sur le qui-vive, jouer à l’espion avec ses petits carnets, et aimer ça…. Mais je reste sur mes gardes, bien attentif, pour être à l’affût faut être futé ! Une seule fois j’ai cru qu’un autre aussi me regardait au travers de ses persiennes entrebâillées, mais je me suis vite calmé. L’attirance, le plaisir à observer prend toujours le dessus, ma vie y est entièrement consacrée. Parfois je manque d’indices et je suis embrouillé, alors je refais des plans, des schémas pour mieux les comparer. J’empile aussi des journaux prêts à être découpés, que j’accumule dans ma chambre, depuis de très longues années.

Alors les cahiers de notes s’empilent et, comme au-dehors rien ne s’arrête, à force l’espace au-dedans s’amenuise. Je respire mal, ma tête est compressée L’espace autour de ma fenêtre se réduit, et depuis peu je ne peux entrer dans les pièces seulement de profil et en biais. Je ne peux donc plus que regarder d’un seul œil… alors mater devient très compliqué ! Par manque de place mon visage s’écrase sur la vitre embuée ce qui brouille mon regard et ma perspicacité. Bientôt tous ces renseignements que j’ai noté envahiront totalement mon espace vital et alors j’en sortirai par l’épié.