Médiapop Editions : Philippe Schweyer, éditeur de livres

J’ai rencontré les livres de cet éditeur par hasard pendant le confinement, un article que j’ai vu passer dans Le Monde. Je ne commande jamais sur internet, et pendant cette période je n’osais même pas toucher ma carte bleue de peur qu’elle soit contaminée.

Alors pourquoi ai-je pris un jour un coton pour la désinfecter, et commander trois livres aux éditions Médiapop restera un mystère. Si ce n’est que l’extrait du livre de Christophe Fourvel Ode au corps tant de fois caressé et sa couverture étaient sacrément accrocheurs. Tant qu’à risquer ma vie, j’ai décidé de parcourir le site de l’éditeur et y ai découvert aussi Faces of sound, un album de photographies d’icônes pop, et l’intrigant 32 grammes de pensée, un essai sur l’imagination graphique de Nicole Marchand-Zañartu et Jean Lauxerois. L’attrait de ces trois livres et de bien d’autres était irrésistible et je les ai commandés immédiatement; ce devait être un achat de première urgence. Je me souviens de la joie de recevoir la réponse de l’éditeur himself quelques minutes après l’envoi de ma commande « Vos livres sont dans la boite aux lettres. Bon we (et merci à vous et au Monde ! »). Et de la joie d’ouvrir ma boite aux lettres ensuite, pour la première fois depuis 6 semaines et d’y trouver ces 3 livres empaquetés avec soin dans du papier kraft. J’étais guérie de ma peur du monde extérieur (enfin j’ai tout de même laissé les livres sur le palier pendant 4 heures avant d’en commencer la lecture). J’avais l’impression que le monde, demain, serait meilleur que celui d’hier avec de telles beautés en main.

Miracle de la fin des confinements, les salons littéraires ont réouverts depuis un an, d’autres livres sont sortis aux éditions Médiapop dont François Truffaut en 24 images/seconde de Anne Terral, dont L’Inventoire s’est fait l’écho. J’ai finalement été au salon L’Autre Livre sans masque et toujours avec ma carte bleue (non désinfectée cette fois), pour découvrir de nouveaux éditeurs, Magnani, Abordo, Le Panseur, les nouvelles collections des éditions Quadrature et de La Reine Blanche, et pu rencontrer sur son stand, enfin, Philippe Schweyer, le fondateur des éditions Médiapop pour qu’il nous parle de son travail.

Philippe Schweyer se définit comme un « éditeur de livres ». Il publie par passion, pour le plaisir des rencontres avec des écrivains dont il aime l’écriture. Il leur dit rarement non, pense qu’il publie trop, mais continue à apporter autant de soin à la fabrication des livres qu’au choix des écrivains qu’il publie. Le beau est toujours utile*. Je l’ai rencontré au salon L’Autre Livre en novembre dernier. Il y sera à nouveau du 14 au 16 avril prochain. 

L’Inventoire : Comment vous est venue l’idée de créer cette maison d’édition ?

Philippe Schweyer : Quand j’ai créé Médiapop en 2008, c’était d’abord pour éditer un magazine qui s’appelle NOVO[1], c’était ça le projet. Je ne pensais pas du tout me lancer dans l’édition de livres. Mais en 2009, j’ai rencontré le photographe Bernard Plossu, et lui ai proposé de faire un livre avec lui.

J’avais en tête de créer une collection autour de la musique et il avait écrit des articles pour Rock and Folk sur ses années hippies dans les années 70. J’ai racheté les numéros sur Internet, tapé les articles et Far out est sorti en 2009. Ce livre, m’a donné un peu confiance. Il y a tout de suite eu une page dans Libération et à partir de là, un livre en a entraîné un autre sans que ce soit prémédité. Tout à coup, au bout de quelques années, je suis devenu un peu « éditeur de livres ». Je n’ai pas rêvé quand j’étais gamin de le devenir, c’est plutôt la presse, les magazines qui m’excitaient.

Avec le magazine NOVO je rencontre beaucoup de gens qui écrivent et beaucoup de photographes. Parmi ceux qui participaient au magazine, beaucoup avaient des projets de livres ; ensuite, quand on commence à éditer, des gens repèrent les livres et envoient des manuscrits. C’est un peu un effet boule de neige.

Pourquoi le magazine NOVO ?

Avant de faire Novo je travaillais à Strasbourg pour un autre magazine qui s’appelait au départ Polystyrène, puis Poly. Je n’étais plus d’accord avec la personne qui le dirigeait et on est plusieurs à être partis. On a voulu refaire quelque chose. L’idée n’était pas de créer un magazine spécialement sur la musique, mais un magazine tel qu’on avait envie de le faire. On s’est dit « soit les annonceurs suivent (puisqu’il serait financé par les annonces de structures culturelles), soit non ». On a réfléchi à ce dont on avait envie, et on a créé NOVO. Le magazine existe encore, 15 ans plus tard.

Un des couplets de ses chansons disait « Ne me secouez pas car je suis plein de larmes »

Comment déterminez-vous les textes que vous allez publier ? Le premier que j’ai découvert et ai beaucoup aimé est Ode au corps tant de fois caressé de Christophe Fourvel. Vous le re-publiez en édition collector, imprimé sur papier rose pour la « Saint-Valentin ».

Ce n’est pas le premier livre que je publie de lui, j’en avais publié deux avant celui-là. C’est un auteur que j’aime beaucoup. Je l’ai rencontré complètement par hasard. Il habite à Besançon. Un jour où je me déplaçais pour le magazine, j’avais interviewé le chanteur Christophe Miossec à Strasbourg et il m’avait parlé de l’écrivain Henri Calet.

Un des couplets de ses chansons disait « Ne me secouez pas car je suis plein de larmes » ; quand je lui ai dit : « J’adore ces paroles » il m’a répondu « ça, c’est pas de moi ». Le lendemain je vais à Besançon, dans un tout petit bar-restaurant avec un ami. Je lui raconte l’histoire, et quelqu’un derrière moi, écoutant la conversation, m’a cité la suite de « ne me secouez pas ». J’ai trouvé ça marrant de tomber sur un spécialiste de Calet à Besançon. Puis, je vais dans une librairie pas loin, et dit au libraire « c’est drôle j’étais dans un bar et il y a quelqu’un qui m’a écouté citer Henri Calet et a continué la phrase » et là, le libraire me dit « c’est Christophe Fourvel. C’est un écrivain, il est parti sur les traces d’Henri Calet à Montevideo et vient de publier un livre ». J’ai acheté ce livre et ai ensuite contacté Christophe Fourvel; on est devenu très vite amis. Il a écrit dans le magazine que je publie, et de fil en aiguille on a fait des livres ensemble. C’est toute une histoire de rencontres.

Si on fait des livres, c’est bien que le texte tienne la route, mais c’est bien aussi que la couverture donne envie.

Je suis particulièrement frappée par le soin que vous apportez aux couvertures des livres que vous publiez, elles sont très modernes, fraiches. Quelque chose dédramatise le livre, une image qui permet par l’émotion de la couverture de découvrir l’univers qu’il contient. C’était une exigence dès le départ ?

Oui, j’en avais envie déjà pour le magazine. Quand je vais en librairie, je n’arrive pas à acheter des livres si je les trouve moches. Je travaille avec des graphistes, et essaye de faire en sorte que les livres soient les plus beaux possibles. Après, je ne suis pas toujours convaincu… Ils ne sont pas tous super réussis, c’est une question de goût et de couleurs, certaines personnes ne les aiment pas du tout, mais en tout cas moi, j’ai une sorte d’exigence. Si on fait des livres, c’est bien que le texte tienne la route, mais c’est bien aussi que la couverture donne envie.

Vous les tirez à combien d’exemplaires, y a-t-il un format ?

En fait il n’y a pas de règle dans l’absolu. Le minimum c’est 500 exemplaires, après ça peut aller jusqu’à 3000 mais rarement plus.

C’est en fonction des sujets aussi ? Vous ne publiez pas que de la fiction, vous publiez d’autres formats comme « 32 grammes de pensée » ?

Finalement, ce que j’aime lire c’est de la fiction, mais je publie beaucoup de livres qui n’ont rien à voir avec la fiction. Il y a des témoignages, des essais, des récits de voyages, des récits écrits sur les prisons…

Beaucoup sont réalisés avec des photographes, et concernant les tirages je me trompe régulièrement. Parfois j’en fais trop, parfois pas assez, c’est impossible de calculer exactement le bon tirage d’un livre. Par exemple j’ai retiré trois fois Îles grecques, mon amour parce qu’il s’est bien vendu. J’aurais pu faire un gros tirage tout de suite, ça m’aurait coûté moins cher finalement. Mais parfois, il y a des livres dont je suis vraiment convaincu qu’ils vont cartonner, et puis je n’en vends pas des masses…

François Truffaut en 24 images/seconde de Anne Terral est paru en novembre. Qu’est-ce qui vous a poussé à le publier ?

Il y a des livres où je mets 6 mois-1 an à lire le manuscrit, et parfois même plus longtemps. Des fois où je tergiverse un peu, où il y a des échanges avec l’auteur. Mais pour ce livre-là, j’aime Truffaut (ça me rappelle ce que j’aimais dans ma jeunesse), alors quand j’ai vu Truffaut, je me suis tout de suite dit « il faut que je le lise » et ça m’a plu immédiatement. Donc j’ai réagi au quart de tour et dit que je voulais le publier.

C’est assez rare finalement

Il est rare qu’on lise tout de suite et qu’on réponde. C’est aussi parce que maintenant avec Internet, les gens se contentent d’envoyer un mail avec un PDF. J’en reçois deux ou trois par jour. Avant il fallait faire un courrier, ça coûtait cher, il fallait imprimer, donc ça limitait un peu… Maintenant, je reçois tous les jours deux ou trois manuscrits donc à un moment donné, je n’ai pas le temps de répondre à tous ces envois. Je réponds aux gens qui me relancent. Quand ils me relancent 2 ou 3 fois, je me dis qu’il faut que je leur réponde…

Vous êtes seul dans cette maison d ‘édition ?

Je suis tout seul, mais je travaille avec des gens qui sont en free-lance, des graphistes, un distributeur, un diffuseur (Les Belles Lettres), et les librairies; après, j’en vends via mon site (là c’est moi qui m’en occupe).

Vous vous fixez un nombre de livres à publier chaque année ?

Non, j’essaie de limiter. Je me dis « cette année je vais en faire moins », et finalement j’en fais autant ou plus. Mais je ne me fixe pas d’objectifs, j’ai plutôt le pied sur le frein parce que j’en ai publié beaucoup déjà. C’est trop de boulot, c’est trop d’argent perdu, trop épuisant; du coup je ne peux pas bien m’en occuper s’il y en a trop. Donc l’idée ce serait de publier des livres en quantité plus raisonnable. Un gros livre me prend beaucoup plus d’énergie qu’un petit; enfin il y a plein de paramètres, ce n’est pas forcément le nombre de livres… Si je fais 10 gros livres ce n’est pas la même chose que si je fais 10 petits livres.

Cette année vous allez en publier combien ?

Une vingtaine. C’est trop ! Je me suis engagé dans plein de choses, et en même temps on me propose plein de choses sympa aussi… Je vais essayer de réduire vraiment l’année prochaine, j’aimerais bien en faire 10 à 12 par an, ce serait plus raisonnable !

Dans l’idéal, combien de livres par an faudrait-il publier pour que ce modèle économique soit rentable ?

L’idéal serait que ce soit très rentable. Si on veut survivre, l’idéal est d’avoir de temps en temps un livre qui marche vraiment bien, un best-seller. Pour l’instant, je n’ai pas encore connu l’énorme succès d’un livre qui permettrait d’être serein, financièrement. Je suis toujours un peu sur la corde raide. Quand on vend 500 à 1000 exemplaires d’un livre, on arrive à payer l’imprimeur mais ce n’est pas  rentable.

Vous avez publié pour Noël un livre sur « L’aventure du ski dans le massif des Vosges », de Grégoire Gauchet et Claude Kauffmann, la couverture est comme toujours magnifique

Ce sont des livres qui s’écartent un peu de la ligne Médiapop, mais sont un peu plus faciles à vendre régionalement, des livres un peu « cadeaux de Noël ». Quand je participe à des salons, comme Colmar, beaucoup de gens vont s’intéresser à ce livre. Je réalise le magazine NOVO, je fais travailler des graphistes, mais c’est vrai que quand j’ai commencé, si je n’avais pas eu d’autre activité j’aurais arrêté tout de suite. Potentiellement il faudrait vendre 20 000 exemplaires d’un livre, ce qui est dur c’est de franchir le palier.

Je vous le souhaite très bientôt. Merci Philippe.

Danièle Pétrès

Photo de couverture : copyright Philippe Schweyer et Anne Terral (Salon L’Autre Livre, novembre 2022)

Quelques titres du catalogue  Médiapop Editions

La mélancolie du danseur de slow de Philippe Schweyer

Ce livre renferme de courts textes, entre nouvelle et chronique, que Philippe Schweyer a écrits pour les magazines Novo et Zut de 2009 à 2020. Sur la 4ème de couverture il est indiqué « Ces petites nouvelles sorties de l’imagination délirante d’un faux éditorialiste du monde d’avant, n’auraient sans doute jamais été publiées dans un livre sans le confinement. Les lecteurs, pendant la longue période de fermeture des lieux culturels, pourront se consoler en relisant les petites aventures existentielles d’un mythomane attachant, avatar bas de gamme revendiqué de Marcello Mastroianni ».

Entre Fitzgerald et Fante, un mélange d’élégance et de légèreté où l’auteur préfère l’autodérision à la satire. Philippe Schweyer ne cède jamais à la facilité de l’ironie ni à la méchanceté dans ces fictions, et pourtant elles sont drôles, Sur fond de musique pop, avec humour, les histoires de Philippe Schweyer nous réconfortent et nous font nous sentir plus humains, comme après la lecture d’une nouvelle de Raymond Carver.


Ode au corps tant de fois caressé
de Christophe Fourvel (
Nouvelle édition collector imprimée sur papier rose pour la « Saint-Valentin »)

« Un homme regarde sa femme qui se douche. Il se confesse, entame un monologue, une ode à celle qui partage sa vie » (La Cause littéraire).

Extrait : « Tu as 59 ans. Exactement comme moi. Nous les avons fêtés la semaine dernière, plutôt sobrement. Tu es nue, je te regarde, les mains dans les poches de ce pantalon en tweed bleu que j’aime porter à la maison lorsque j’ai une quantité déraisonnable de dossiers à traiter ou bien lorsque je dois découper un lapin que j’ai mis la veille à macérer, ou n’importe quoi d’autre qui me paraît compliqué ou insurmontable parce que l’intérieur de ses poches révolver me rassure ».

L’écriture de Christophe Fourvel, sensible, précise et parfois mélancolique s’efforce de toucher la vie au plus près. En 2014, il obtient le prix Marcel Aymé pour son roman Le Mal que l’on se fait.

32 grammes de pensée, essai sur l’imagination graphiquede Nicole Marchand-Zañartu et Jean Lauxerois

Pourquoi l’esprit a-t-il besoin de griffonner, d’esquisser des schémas, mêlant souvent lettres, lignes et couleurs ? Et si la pensée, dans sa naissance comme dans sa construction, était d’emblée image, et imagination graphique ?

Ces tracés inventifs, ces ébauches plus ou moins élaborées mais toujours mystérieuses, qu’ils soient de la main du poète, du mathématicien, du philosophe, du musicien, de l’architecte, ou de tout un chacun, nous les nommons des « grammes ».

François Truffaut en 24 images/secondede Anne Terral

«J’ai eu envie d’écrire chacun de ces fragments de vie comme des unités qui pouvaient se suffire à elles-mêmes (choisis dans l’existence totalement romanesque de Truffaut, dialogues imaginaires, scènes dans les coulisses, gros plans sur certains films…). 24 séquences, 24 ambiances, 24 images… Et avec l’enchaînement logique de la chronologie, s’est dessinée une façon un peu singulière, entre fiction et réalité, de raconter Truffaut en fondu enchainé ».

(extrait de l’interview de Anne Terral dans le N° 67 de la revue NOVO). À lire dans la revue ci-dessous.

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[1] NOVO est un magazine culturel coédité par médiapop et Chic Médias (six numéros par an). L’élégance et la sobriété de la mise en page mettent en valeur la qualité éditoriale d’un magazine qui ouvre ses pages à de nombreux contributeurs. La photo en couverture est choisie avec soin (Bernard Plossu, Malick Sidibé, Juergen Teller…). NOVO aime s’écarter de l’actualité pour porter un regard curieux sur les artistes et tous ceux qui participent à la vie culturelle du Grand Est (CNAP).

* Charles Baudelaire

Crédits photographiques : Nicolas Bézard (portrait de Philippe Schweyer en vignette)