Rupi Kaur, papesse de l’instapoésie

Rupi Kaur a vendu près de 3,5 millions d’exemplaires de son recueil « Milk and Honey », traduit à ce jour en 40 langues. Après s’être fait connaître sur Instagram, elle s’auto-publie sur Amazon avant que la maison Andrews McMeel ne lui propose de l’éditer. « Lait et miel » est paru en France en 2019, et son nouveau recueil « Home Body », est déjà en tête des ventes aux Etats-Unis.

Véritable phénomène d’édition, Rupi Kaur trace la voie de ces très jeunes poètes qui, en s’auto-publiant sur des réseaux sociaux, partagent leur univers avec les lecteurs avant même de penser au livre terminé. Mais la poésie, art de l’instant et de l’oral, s’accommode particulièrement bien de ces nouveaux modes de lecture que sont Whattsapp, Facebook , Twitter et Instagram.

Originaire du Punjab, sa famille vient s’installer au Canada quand elle a 3 ans et demi. Rupi Kaur a 18 ans quand elle commence à écrire « Milk & Honey » et publie alors ses dessins, des photos d’elle et ses poèmes sur Instagram. Elle en a 25 aujourd’hui.

Écrits au jour le jour, entre carnet et dessins, une communauté grandissante la suit sur Instagram quand elle publie dans le contexte d’un devoir dont la thématique était « briser un tabou », une photographie montrant une trace de menstruation sur ses vêtements.

Cette image a ensuite été republiée 18.000 fois et a fait l’objet d’une polémique. L’hébergeur dans un premier temps l’a retirée avant de la republier quand Rupi Kaur a dénoncé la censure patriarcale dans un article paru dans le Huffington Post.

« Their patriarchy is leaking. Their misogyny is leaking. We will not be censored ». Instagram s’excuse alors de son « erreur ».

Vivant actuellement à Toronto, Rupi Kaur a publié en 2015 son premier recueil, et en 2017 le second : « The sun and her Flowers » (Le soleil et ses fleurs).

L’émancipation féminine est sa première préoccupation mais également le développement des principes de la pensée positive, cherchant à travers ses écrits à :

« devenir sa propre meilleure amie pour se donner les conseils dont elle a besoin »

Entre le développement personnel, le journal, les arts graphiques, Rupi Kaur développe un authentique chemin de création et de vie où les actions positives engagées dans le respect de soi entrainent des résultats positifs.

Son premier livre divisé en 4 parties (“the hurting”, “the loving”, “the breaking” et “the healing”), déroule l’arc narratif de l’amour à la rupture.

Un livre qui a constitué un mantra et un guide utile à beaucoup de jeunes-femmes et un véritable phénomène en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, quant en France, plus de 13.000 exemplaires ont été vendus.

L’anglais, langue plus poétique que le français contribue à la difficulté de la traduction, dont certains passages demeurent prosaïques pour un français.

Côté instagramers en France, si le phénomène n’est qu’émergeant, la langue française y assume l’héritage de Chamfort et égrène davantage des maximes définitives ou des aphorismes que de la poésie proprement dite. Question de culture (ou de structure de la langue). Dans le cas de ces instagramers, nombre d’entre eux sont affiliés à des marques (les maximes étant plus des slogans efficaces qu’une fulgurance émotionnelle).

Rupi Kaur s’inspire des textes sacrés de la culture Sikh (et notamment les textes écrits en gurmukhi qui n’utilisent pas de majuscule), et a adopté dès le départ (en 2013) cette graphie sans majuscules. La seule ponctuation utilisée est le point.

Elle dit « apprécier l’uniformité des lettres et que ce style reflète bien sa vision du monde et être inspirée également par Anaïs Nin, Virginia Woolf et la poétesse britannico-somalienne Warsan Shire ».

Elle lance ce mois-ci des séries limitées de ses poèmes et dessins montés sur toile artisanalement.

La « Factory poétique » est en marche, pour cette poétesse qui mêle à présent écriture, dessin et design. Un art de vivre et un projet

Découvrir sa poésie sur son compte Instagram, c’est lire une poésie qu’elle commente (et qui est commentée), mais finalement rien de nouveau sous le soleil… et on redécouvrira avec plaisir le long poème de La Vita Nuova où Dante Alighieri commente également ses vers pour que chaque lecteur comprenne bien ce qu’il veut dire. La poésie doit être comprise par tous, pour être diffusée, lue, chantée, slamée. La poésie, un art premier ?

Son nouveau livre « Home body », a été écrit après une dépression, il parle de remontée à la surface, autrement. De comprendre que la maison, image de la sécurité, est avant tout à trouver en soi.

i dive into the well of my body
and end up in another world
everything i need
already exists in me
there’s no need
to look anywhere else
– home

 

La poésie n’a pas changé, seuls ses canaux de diffusion finalement… Alors à vos hashtags: : #instapoésie, #inspoète, #poète2.0

Danièle Pétrès

Autre instapoet à découvrir : Originaire de Belfast (Irlande du Nord) Nikita Gill a publié son troisième recueil: Your Soul Is A River, « votre âme est une rivière ». Son compte est également servi par une iconographie auto-produite.

A découvrir également sur tumblr: https://meanwhilepoetry.tumblr.com

En France: lebitchclub (plus aphorismes que poésie) et Max Brun.