Véronique Willmann Rulleau : ”Je ne sais même plus quelle tête il a”

« Je ne sais même plus quelle tête il a », est le premier roman de Véronique Willmann Rulleau (Editions Signes et Balises, mai 2021). Ecrit sous forme de fragments, une femme fait face, par bribes, fulgurances, à des épisodes traumatiques de son passé. Un livre fort, à l’écriture ciselée, où la narratrice est percutée par le souvenir de ces événements dont elle se demande s’ils ont vraiment eu lieu. Familière des ateliers Aleph-Ecriture, elle nous parle ici de la genèse de son livre.

L’Inventoire : Vous avez participé à plusieurs ateliers d’écriture, que cela vous-t-il apporté dans vos choix d’écriture ?

Véronique Willmann Rulleau : J’ai écrit beaucoup pendant l’adolescence, des fictions principalement, puis comme jeune adulte sous forme de journal. Je n’écrivais plus régulièrement mes rêves quand j’ai recommencé à le faire. Sur la proposition d’une amie j’ai participé en 2016 à des ateliers ouverts en librairie, puis grâce aux ateliers Aleph, j’ai repris goût à une pratique raisonnée de l’écriture. J’ai ainsi suivi jusqu’en 2020 un cycle complet sur l’écriture avec Alain André, puis un chantier de résidence longue pour aboutir mon projet. J’ai par ailleurs eu le plaisir de voir plusieurs de mes textes sélectionnés pour l’Inventoire.

« Je ne sais plus quelle tête il a » est arrivé tout à fait fortuitement durant un module « Style » avec Alain André.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

Le propos de : « Je ne sais plus quelle tête il a » est arrivé tout à fait fortuitement durant un module « Style » avec Alain André. Lors d’un exercice d’écriture automatique puis de transformation de celle-ci en écriture poétique, une image de mon adolescence est survenue. Totalement occultée par mon inconscient pendant des années, lors d’une consigne à priori anodine, par la force de l’écriture elle a refait surface. Transformée en texte de quelques pages, bien que canalisée par les consignes du formateur, j’avais peine à maitriser mon sujet, émotionnellement parlant, et n’étant pas très satisfaite du résultat, je pensais totalement l’abandonner.

Pourquoi avoir fait le choix d’une « écriture de fragments » ?

Dans le même temps je travaillais, là-aussi grâce à un atelier Aleph, sur une pièce de théâtre dont un extrait avait pu être lu lors d’une présentation de saison en septembre 2018. Je me suis inscrite l’année suivante en chantier d’écriture longue pour aboutir ce projet. Mais lors du premier jour de l’atelier Alain André nous a demandé d’expliciter notre choix de texte et là j’ai compris que c’était sur « Résurgences » (il s’appelait ainsi à l’origine) que j’allais travailler. Et là, c’est allé très vite, grâce à Alain André et au magnifique moteur qu’est le groupe en chantier long. Sur une semaine j’ai pu travailler sur le principe du souvenir en utilisant l’écriture onirique (que je pratiquais régulièrement) comme modèle.  Ce ne pouvaient être que des fragments par honnêteté envers le caractère furtif et intangible du souvenir.

À partir de ces premiers fragments et suite à ce chantier j’ai pu élaborer une matrice que j’ai ensuite développée avec des principes de composition thématiques et non pas chronologiques. Il restait ensuite à trouver un rythme, des réponses entre chaque fragment, ce que j’ai eu le temps de faire pendant le premier confinement. Puis j’ai envoyé mon manuscrit et ensuite encore s’est instauré un merveilleux dialogue avec mon éditrice pour la relecture et l’aboutissement final du texte. Le caractère atypique de mon premier roman a su trouver dans l’édition indépendante avec Anne Laure Brisac de Signes et Balises une réelle écoute et attention.

Le livre que vous aimez lire et relire ?

Je lis et relis et ne m’en lasse pas le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras pour tout ce qui n’est pas dit entre les lignes et l’onirisme du récit. Le livre qui m’a de loin le plus émerveillé sur ces dernières années est « Grande Tiqueté » d’Anne Serre, par sa langue inventée dans une tentative de partager l’indicible.

Actuellement je termine ma pièce de théâtre « Coups d’aiguilles et bouche cousue », (commencée lors d’un atelier Aleph) et rentre en résidence de création pour celle-ci avec Laurence Andréini, metteure en scène le 29 janvier prochain à la Maison des Ecritures de La Rochelle.

DP

Voici deux  extraits de « Je ne sais même plus quelle tête il a »

42.

Sur un parking en bord de mer, une voiture blanche est garée, toutes portes ouvertes. À intervalles réguliers, comme un cœur qui bat, des bras et des jambes jaillissent de la voiture. L’adolescente pousse un cri aigu à chaque coup de boutoir de l’homme qui est derrière elle. Gros plan sur son crâne luisant. Des stries régulières balayent l’écran en noir et blanc. Il lui tire les cheveux qu’elle a longs et frisés, et la sermonne. Elle a le torse tourné vers lui et les jambes dans l’autre sens. À son cou brille un collier de fil de fer barbelé, parsemé de quelques perles de sang.

Je ne comprends rien à ce film italien, certainement pas de mon âge, mais l’homme au bouc me dit toujours que je suis plus mûre que mon âge. Il me tient la main sur l’accoudoir, cela ne me rassure en rien, j’attends, en vain, qu’il la lâche.

65.

L’air froid claque contre le ciel bleu pétard. Leur lente promenade dominicale est écrasée par la lumière maritime. Ils déambulent, au rythme de la personne âgée qui les accompagne.
Ils ne sont pas seuls à déambuler, mais leur trajectoire est rompue parfois par les divagations du gamin qui gambade, court de-ci, de-là, enjambe le métal clinquant des rambardes, il faut rattraper ce feu follet. Ce faisant, son regard à elle, a ricoché. Un homme va les croiser dans l’autre sens, panique, son cœur s’accélère, tout scintille. L’éclat des vitres des hôtels et des restaurants de cette petite station balnéaire, bien connue des Parisiens, devient insoutenable…

L’auteure

Véronique Willmann Rulleau a été styliste, puis enseignante en histoire des Arts et du Spectacle,  et s’est consacrée ensuite à la médiation de l’architecture et à l’organisation d’évènements culturels. En 2017, elle crée le Ciel de Royan, lieu pluridisciplinaire accueillant des résidences d’artistes/auteurs, labellisé récemment par l’ALCA, Agence culturelle de la Nouvelle Aquitaine. Entre autres passions, c’est l’espace, sous tous ses aspects, qui l’intéresse : l’architecture, les lieux inspirants voués à la culture, tout autant que les espaces intérieurs, qu’elle choisit d’arpenter par l’écriture. Véronique Willmann Rulleau vit et travaille à Royan.