Vos textes à partir de « Né d’aucune femme » de Franck Bouysse (3/3)

Il y a 15 jours, Sylvie Neron-Bancel vous a proposé d’écrire à partir du roman de Franck Bouysse, « Né d’aucune femme » (Éditions La manufacture de livres, 2019).

Sur les 37 textes que nous avons reçu, nous en avons sélectionné 17. Nous vous remercions de votre belle participation !

Joëlle Vittone

Mon nom est Lucien.  À part Melle Simon, la maîtresse d’école, personne ne m’a jamais appelé autrement que « gars ». Elle me fascinait en nous lisant les histoires de mer, de cotre ou de goélette.  Je conservais bien caché, le carnet recouvert de moleskine qu’elle m’avait donné en prévision de mon certificat d’études. J’y écrivais ces mots qui disent la danse des mers et un monde inconnu au village. Le ressac et la houle. Les vergues de hunes et le gréement (avec deux « e » insistait Melle Simon). Les comptoirs des Indes florissantes et le grand foc. En revenant des champs, je notais d’autres mots, ceux des tempêtes et du grand large. 

Il tenait mon carnet à la main et le déchiffrait, hilare, en déchirant les feuilles l’une après l’autre. Son rire tonitruant faisait rebondir sa panse et plier ses yeux sous des sourcils hirsutes. « T’es aussi dingue que ta pauvre folle de mère qu’a rien trouvé de mieux que de se jeter sous la micheline qui va à Saint-Jean. Elle lisait trop ces idioties. Et toi, tu en écris ! « Je veux voguer sur les mers turquoises » mon pauv’ gars, t’es bien le fils de ta mère »

Ses yeux incrédules ont fixé le canon de la carabine chargée de deux cartouches de chevrotine. La déflagration a fait trembler les vitres et couvert les murs d’une bouillie grumeleuse et sanguinolente.

Melle Simon est venue au parloir. Elle s’essuyait le coin de l’œil de son mouchoir si blanc en me lisant une autre histoire de voiliers sur l’océan.

Ici, mon nom est Matricule 638.

J.V.

Marie-Noëlle

Je m’appelle Stella. J’ai sept ans. Ma maman s’appelle Rachelle et mon papa David. Nous vivons à Berlin.

L’école est fermée depuis un mois, je reste donc à la maison. Papa est traducteur, il travaille chez nous, dans son bureau. Maman est couturière. Elle coud et retouche toutes sortes de vêtements pour les voisins. Ce matin, elle a cousu une étoile jaune d’or sur ma veste bleu nuit, c’est très joli, on dirait le ciel, la nuit !

Papa m’a expliqué qu’un jour peut-être des messieurs viendraient le chercher pour qu’il rejoigne  d’autres hommes qui portent eux aussi une étoile. En fait, ils vont former une constellation d’étoiles. Il me dit de ne pas m’inquiéter et que même pendant son absence il serait toujours présent. Il suffira qu’à la nuit tombée, je  scrute le ciel et quand mes yeux s’arrêteront sur la plus brillante des étoiles, je saurai que c’est lui, mon papa, qui scintillera pour moi. Je trouve ça magique, même si dans mon coeur ça serre fort…

Deux mois ont passé. Ce matin, maman m’a dit que des messieurs ont emmené mon papa quand je dormais. Stella signifie étoile; je me suis donc investie de pouvoirs extraordinaires. Dès ce soir, je construirai une échelle depuis la fenêtre de ma chambre qui grimpera jusqu’au ciel. Chaque soir, j’ajouterai une marche. Le ciel c’est pas si loin ! Si je cligne d’un oeil et que je pointe mon index vers les nuages, je peux les atteindre ! Papa m’a dit aussi que si nous portions une étoile, c’est que nous étions spéciaux. J’ai pensé qu’un anniversaire, une fête faisaient partie des jours spéciaux et que c’était bon.

Les années ont passé. Je n’ai jamais revu mon père. Sa vision poétique m’a permis de supporter son absence, de transcender ce qui aurait pu m’anéantir. Grâce à lui, j’ai développé cette faculté de voir au-delà des choses, j’écris maintenant des contes pour les enfants, petits et grands.

M.N.

Laurence D.

Mon nom est Paul. Ici on m’appelle le Paul, on est quelqu’un d’identifiable avec ce petit mot supplémentaire, sinon on ne s’appelle pas, on n’existe pas. Je l’ai découvert en débarquant dans ce coin.

Je ne sais plus trop quand je suis arrivé dans cette cabane, il y a eu un jour où je suis parti de là-bas pour venir ici, sans savoir qu’ici, j’y resterais, du moins pour l’instant j’y vis.

J’aurais pu venir de n’importe où. Cela n’a plus d’importance depuis toutes ces années. Je préfère oublier l’avant mais cela ne sera pas envisageable. J’aimerais imaginer qu’un chirurgien arrive à extraire les souvenirs les plus enfouis, comme il retirerait une balle logée sous mon crâne.

Mais non ! J’ai choisi d’extraire ces foutus souvenirs avec un stylo et un cahier. Je n’ai pas eu de temps auparavant pour me raconter ou plutôt je n’ai jamais pensé que j’avais quelque chose à raconter et que l’on puisse me lire. Mais aujourd’hui, que quelqu’un lise ou pas, me semble très secondaire. C’est une affaire de rédemption entre moi et moi, devrais-je expliquer. Longtemps, j’ai eu envie d’en finir, mais à chaque fois, je n’allais jamais jusqu’au bout. Sans doute n’était-ce pas encore le moment de tirer ma révérence. Je partais alors marcher dans les bois, seul endroit où mon esprit trouvait apaisement et réconfort. Je levais les yeux vers la cime des arbres et j’entourais de mes bras les troncs les plus imposants, les plus majestueux. J’osais espérer qu’ils me transmettraient leur force et leur puissance.

L.D.

Colette Maréchal

Garance, Garance Noël. Voilà ! Mon nom, c’est un début.

Ce matin je me suis allongée dans l’herbe. Déchiffrer les nuages. Laisser partir, tête à l’envers. J’ai vu le chien se transformer en aileron de requin, puis devenir ce visage barbu, vieillard inconnu.

Raconter,dire, se souvenir. Regarder,cabinet de curiosités, vitrine de fête foraine.

Pour lui, j’étais Garance, fleur passion,rouge désir.Il m’aimait, vraiment. Pour lui j’étais belle, pour lui j’étais l’amour. Pour moi, il était tout. Je l’ai aimé plus que l’enfant.

Jour de visite, pas pour moi. Pas stable. Ça m’est égal,je les déteste,tous.

Ce matin, les strates chimiques d’un brouillard visqueux enveloppent mon cerveau. M’accrocher aux mots, magnifiques, absurdes, idiots, comptines sans queue ni tête, bulles de survie.

Il était une fois, niquedouille l’andouille, un malabar qui jouait les jolis cœurs avec son stradivarius, yeux de roudoudou pour la ballerine emmaillotée. Méphistophélès passant par là, d’un camouflet  le chassa et siffla la petite cantate pour l’emberlificoter. Je chantais souvent ça à Henri quand il avait un chagrin. On riait. Henri, mon fils, notre fils. Il lui ressemble, trop.

Ce soir, je me souviens. Il me quitte, encore et encore. Cette femme à son bras, jeune, triomphante. Je n’ai pas pu. Les ciseaux, dans ma main, j’ai voulu tout arrêter, ça faisait trop mal. J’ai cru que, rien,plus rien.

Dégoût, nausée, jour lourd. Pierres grises.

Aujourd’hui, il a fait beau. C’était bon le soleil sur ma peau.

C.M.

Maly Lagarde-Larrieu

Bordeaux le jeudi 16 juillet 2020

En Haut, 16 juillet 1955

Elle m’appelait Riquet. Pas d’effusions. Jamais. Pas le temps. Mais oui. Pour elle, ma mère, j’étais Riquet. Son ainé.

Ici, c’est Henri. Du matin au soir. Le ciel d’été pâlit tout juste, la nuit d’hiver n’a pas encore quitté les champs. Impérieux, le cri d’Alberte déchire mon sommeil : Henr-i ! C’est pour la traite. Le café au lait, ce sera après. Je le boirai seul, debout, dans la vaste cuisine. Avec une tranche de pain rugueux.

Pourquoi il m’a donné à ces deux-là, mon père ? Ceux de la ferme d’En Haut.

Elle, ma mère, sûr et certain : elle voulait pas. Mais si elle disait non, il levait la main. Et la main, il l’avait lourde. Valait mieux qu’elle dise rien.

Après moi y’en avait sept autres. Le huitième gonflait son ventre. Je l’ai jamais vu.

Une maison remplie d’affamés. Pas de patates pour tous. Pas assez pour moi.

Et ici, En Haut, des bestiaux et des champs, ils en ont à revendre.

Baisser les yeux, exécuter les ordres, oublier l’école.

Quand les deux d’En Haut ont débarqué chez nous, on aurait dit qu’il les attendait.

– « Marcel, des enfants, t’en fais trop. Donne-nous en un. Un de moins pour toi, et pour nous un gentil petit gars qui nous tiendra compagnie. »

Si simple !

Le soir, après avoir rentré les troupeaux, je regarde la petite maison d’en bas. Un nom, lancé comme une balle, traverse alors l’espace : Henr-i !

Oui. C’est Henri que je m’appelle. Et à partir d’aujourd’hui, c’est Henri qui écrit.

ML

Orane Chalvet-Parent

Une quelconque adolescence

Je m’appelle Xavier. Des sons durs, laids. A l’inverse, je suis beau gosse, mais mou. J’avais dix ans,  toutefois j’entends encore ma mère : Xavier était un beau bébé mais affolé ! Et ses copines de piailler… Mon père lui, c’était : un peu de courage bon sang!…

Plutôt être moche qu’un trouillard né…

Hier au lycée, un connard de ma classe gueulait : t’as intérêt à apporter l’fric ou t’auras la cogne salope ! D’autres imbéciles se tordaient en riant. La fille tremblait… J’ai baissé les yeux, passé le portique. Rien fait en cours… En sortant, je sais pas pourquoi j’ai acheté un carnet. Je me suis planqué dans ma chambre… Des larmes rondes. Des phrases  bousculées. Ecartelé dans les mots des autres, t’es mal barré Xavier. Violent ou faible, racketteur ou couard, t’as pas d’autres mots ?… Puis, bizarrement, mon stylo s’est mis à rêver. Tout seul ! Et je m’élance tel un Dieu vengeur, audacieux ; la fille me sourit, je m’appelle Dinah, et toi ?… Xavier… euh… en vrai je suis pas un héros, j’ai toujours la pétouille Dinah ! T’es un pleutre quoi ! Ouais ouais, voilà ! Le stylo se riait de moi… avec MES mots, c’était génial !

4 heures du matin. Je peux pas m’arrêter, je suis comme drogué aux mots, petits ou grands, doux ou terribles, affreux ou jolis. Je les attends et ils se donnent, me surprennent et me prennent. Je les caresse, les bichonne.

Je serai écrivain Dinah ! Et alors qu’ils s’inventeront, ils m’inventeront mes mots aussi.

O.C-P.

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