Jean-Marc Glénat « Tapis rouge »

Il y a un mois, nous vous avons proposé d’écrire à partir de « À l’est des rêves » de Nastassja Martin. Parmi les textes retenus, bien qu’excédant un peu les 1500 signes, nous avons choisi de publier « Tapis rouge » de Jean-Marc Glénat, en raison de sa résonance avec l’actualité.
Jean-Marc Glénat

Tapis rouge

Même la neige hésitait désormais à se poser sur la terre souillée.

La plaine, les collines, le ciel, tout trempait dans ce froid terne et humide.

De retour de son errance quotidienne, elle n’eut même pas l’ébauche d’un des sourires mystérieux qui auraient dû répondre aux salutations des Autres.

Les poings fermés, elle fila se lover sur sa paillasse, n’offrant plus au monde que la façade muette de son dos. Maintenant, elle dort.

Depuis des heures, je ne vois d’elle qu’un tressaillement qui semble venir du plus profond de son sommeil.

Une nuit a passé. Et un jour. Et puis une nuit encore.

Les autres ont passé leur visage derrière la porte dérisoire de notre abri.

Inquiets et dans leurs yeux ces questions sans mots : Pourquoi ne se réveille-t-elle pas ? Que lui arrive-t-il ?

Et surtout que va-t-il nous arriver ?

Moi, je me dis qu’elle rêve et qu’il faut la laisser rêver.

Le rêve, c’est tout ce qu’il lui reste. C’est tout ce qu’Ils nous ont laissé.

Vers l’aube, elle se retourne, et ses yeux fixent le jour qui pointe.

Je la questionne.

Elle me répond avec un de ces regards venus de sa Terre des Rêves.

Ce pays est son refuge de chaque nuit depuis qu’Ils sont là, depuis le jour où leurs engins ont entrepris de violer la terre.

Depuis ce jour où elle a regardé le ciel et l’horizon et où elle est entrée dans la hutte pour rêver, comme elle l’a fait hier.

Comme elle le fait maintenant chaque nuit.

Son regard s’éclaircit.

Moi seul ai le droit d’entendre ses premiers mots qui ne me parlent de rien de connu : « Le sol était rouge… De l’or, des habits d’or… de l’or partout… des marches… un Palais étrange… les autres qui nous regardent monter… ils crient… ils tapent dans leurs mains… et puis le noir… et les cris… là une musique… la peur… la fuite…. partir… je dois repartir là-bas… Comprendre… Savoir… Pour nous… Pour les autres… Pour nous tous ».

Elle se détend, dessert les poings et quelque chose glisse de sa main, s’envole, plane dans l’espace de la hutte, oiseau fragile que j’attrape.

Une feuille.

Des images qui me parlent de son rêve, ce rouge, l’or, les marches, un Palais…et des lettres tracées dans Leur écriture…un mot que je ne comprends pas : Канны

JMG.

Note de l’éditeur : Канны signifie  » C.A.N.N.E.S. en cyrillique.

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Crédits photographiques : Danièle Pétrès