Vos textes à partir de « Souvenirs de l’avenir » de Siri Hustvedt (1/1)

Il y a 3 semaines, Alain André vous a proposé d’écrire à partir de « Souvenirs de l’avenir » de Siri Hustvedt (Actes Sud, 2019). Nous avons reçu beaucoup de textes en réponse à cette consigne d’écriture, et vous remercions tous chaleureusement. Comme pour chaque proposition, nous n’avons pu en retenir que 12. Nous vous souhaitons de très belles fêtes !

Virginie Legrand

2008.

Non. 9.

Mars 2009.

13 mars 2009. Mort d’Alain Bashung. Un vendredi, certainement. C’est ce jour là que j’ai décidé de te quitter. Dans cet hôtel de Barcelone, vue sur la Rambla.

Au petit déjeuner, peu éveillée, j’ai renversé mon double expresso sur ton pantalon. Tu t’es levé brutalement, repoussant brusquement ton fauteuil. « Tu le fais exprès ou quoi? » as-tu vitupéré. Les mots assénés étaient encore plus acerbes sûrement. J’ai dû les gommer de ma mémoire, pour moins souffrir. Souvenir en revanche, aussi vif que si cela s’était passé hier : les regards médusés alentours, offusqués, mélange de gêne et de délectation devant ce spectacle affligeant. Je me souviens d’une douleur déchirante qui m’a étripée à ce moment précis. Ensuite, de la seule idée qui a occupé mes pensées durant le reste du séjour : partir. Faire cartons et valises. Bashung chantait encore « Je t’ai manqué » dans le taxi du retour. Je pensais : « Tu n’as pas su prendre le tourment de ma vie ». Etrangement, je n’avais pas peur. Le sentiment de prendre enfin mon destin en main, la jouissance de l’illusion d’en être maître m’a donné des ailes. L’avenir s’offrait à moi. J’ai emménagé dans un nouvel appartement quelques mois après. Seule. J’étais terrifiée à bien y repenser. Premier dîner, seule. Première nuit, seule. Premier réveil, seule. Des regrets, pourtant, je n’en ai jamais eus, je ne crois pas. J’ai changé de parfum, pour ne pas être imprégnée du passé. J’ai jeté le brouillon de ma vie.

V.L.

Jacqueline Ardellier

            L’odeur âcre de l’arachide, c’est une évidence. La moiteur étouffante aussi, qui  m’étreint sur le tarmac. Souvenir indélébile de mon arrivée à Dakar, l’été de mes 18 ans.

            Je me souviens des tornades qui lessivent les rues, essorent le ciel et les flamboyants de leurs fleurs orangées. De ma maison, je revois les murs blancs et les ampoules nues qui pendent des hauts plafonds. Sur la terrasse carrelée de rose, une cage à oiseaux et des canas rouges dans des pots de coquillages. Je sais qu’un brasseur d’air brinquebale au-dessus de ma tête et que des cafards véloces trottinent la nuit sur le sol vert de ma chambre. Je sais que la musique d’un petit groupe de danseurs de rue, sifflets aux lèvres et bracelets sonores aux biceps se mêle le dimanche aux effluves de cuisine. Grasses matinées rêveuses…

            Je revois les bâtiments clairs et cubiques de l’université, les salles d’étude, fraîches et silencieuses. L’étaient-elles vraiment?…

Je sens le soleil qui chauffe à blanc les herbes sèches du campus et j’aperçois les vautours au cou décharné, à l’oeil vicieux et au bec crochu fouiller les charognes puantes… Réminiscence baudelairienne, peut-être…

            En face, tout proche, je vois l’océan, brillant dans sa lumière matinale, offert comme une certitude de bonheur infini, symbole de mon avenir… Mais le voyais-je vraiment depuis l’université ou participe-t-il aussi de cette image mentale idéalisée du passé? Quelle importance, finalement?

            On ne voit bien qu’avec le cœur…, disait un renard.

J.A.

Agnès Fin

Pas de question

Cette année-là il ne s’est rien passé dit-on. Une simple tentative de déménagement, puis des années d’insensibilité collective.

Une cohabitation. Deux familles dans une maison habitée par 3 conçue pour 4, partagée à 7.

De la couleur. Une terrasse de béton rose, le toit en tuiles qui me changeait des ardoises.

Un jardin après la terrasse : 2 prunus de part et d’autre, encore du rose, puis le vide. Personne ne jardine ici, avant que ma mère s’y mette, un peu, au printemps, enceinte. Un mur de parpaings au fond, derrière lequel se cachent des champignons. Un monde, une terre d’aventure pour mon frère et moi guidés par ma cousine, la reine des lieux.

Une Diane bordeaux, peut-être rouge, dans le garage décati au bout de l’allée à gauche du jardin. Un refuge. Le chant des essuie-glaces les jours de pluie, rares, comparé à là d’où je viens.

La tapisserie de la chambre, façon toile de Jouy représentant des scènes de chasse à courre et des pistolets. Je revois bien les pistolets.

Le tangage, quand je comprends une fois sur place que cette fois ce seront des vacances de février sans retour, que nous passerons ici le reste de l’année scolaire. Je n’ai pas dit au revoir à mes amis de la classe, j’ai un livre à rendre à la bibliothèque. Mon premier, et dernier Lili.

Pourtant en juillet, retour là-haut. Pas de mots. Essai non transformé. Chez nous on ne part pas. On continue. On reste.

Du haut de mon mètre trente, je découvre les socles fragiles en 1978. L’année qui se rejoue à chaque silence.

A.F.

Odile Fau

1978 : la fin de mes études. J’ai quitté la campagne angevine pour aller travailler à Paris, prétextant d’y rejoindre mon amoureux. J’avais soif d’indépendance et de nouveaux horizons. Je me souviens de mon angoisse dans cet univers inconnu et hostile. J’avais d’abord atterri dans un hôtel miteux proche du bureau, que je me hâtais de rejoindre le soir.

Rapidement, j’emménageai dans un studio meublé tout près de la Place Clichy. C’était un nid douillet avec un bar et un lit enchâssé dans une alcôve. Je me souviens de la décoration orange qui corrigeait le manque de lumière, la fenêtre ouvrant au Nord. Je me rappelle qu’au coin de la ruelle qui y menait, une dame brune d’un âge certain faisait le tapin ; je la saluais parfois. Je me souviens aussi que j’aimais explorer le quartier : Montmartre, Pigalle, la rue Lepic où je faisais mon marché. Mais je rentrais toujours à la nuit tombée.

Je ne sais plus à quel moment a débarqué mon amie de Nantes, à quel moment nous avons rencontré Jacques et son copain lors de nos virées du samedi soir. C’était sans doute après ma rencontre improbable avec un légionnaire gay au banquet d’une association de danses folkloriques. Nous nous promenions bras dessus, bras dessous. J’ai oublié la teneur de nos conversations mais je me rappelle son accent alsacien, ses deux noms, celui de l’état-civil et celui de la Légion. Et puis, il a disparu.

D’autres rencontres ont suivi, insolites ou non, m’initiant à ce nouveau monde où j’osais désormais m’aventurer.

O.F.

Christelle Destombes

À la manière de « Souvenirs de l’avenir »

À l’âge périlleux de 18 ans, je quittais le foyer familial et ma ville étriquée à la recherche d’une vie libérée. À l’automne 1985, je prenais possession d’une chambre de bonne où déployer mes ailes. Gênée aux entournures et paralysée par les possibles, j’étais gauche, aspirée par l’idéal mais pétrie par l’angoisse.

La chambre était spacieuse mais dépourvue de douche. Il n’y avait pas de frigo, les yaourts et périssables marinaient dans un sac en plastique au rebord de la fenêtre. Je me souviens que je faisais des courses de pauvre, adaptées à ma vie monacale et à la plaque chauffante de rigueur. Je me souviens que j’avais froid, souvent, et laissais cette plaque allumée le soir, courbée sur les cours, la radio en sourdine.

Je me souviens que la grande aventure, c’était les autres ; plus affranchis, plus dégourdis, plus cultivés. Solitaire brutale, j’avais soif de contact. Je ne me souviens plus du nom de chacun, mais je n’oublie pas les fêtes au bout de la nuit, nos errances sans foi ni loi. Nous partagions la rudesse des premières fois, et une grande soif d’ivresse désordonnée. On n’est pas sérieux quand on a dix-huit ans et pas de mode d’emploi sur la marche à suivre. Je me souviens que nous discourions longuement de films, de livres ou d’albums, affirmions avec force des goûts de contre-culture et d’expériences à la limite. Je me demande ce qu’ils sont devenus, ces compagnons au romantisme diffus. Nous nous étions promis, un premier de l’An à Royan, de nous retrouver dans vingt ans.

C.D.

Jocelyne Chaillou-Dubly

1963

Le plafond était blanc. Je ne voyais que ça. Dès que je bougeais, je hurlais. On m’avait opérée de l’appendicite. Je ne sais plus qui gesticulait autour de moi, sans doute ces religieuses dans leurs robes noires. Je crois encore entendre le froissement des tissus. C’est tout ce que ma mémoire a gardé. Ah si : cette odeur d’éther. Je déteste. Au bout de plusieurs jours, la douleur s’apaisa. Avant de sortir, la « cheffe » proposa à mes parents une convalescence à la colonie de Batz/mer, organisée par leurs soins. « Il faut la « requinquer » cette petite, elle est trop palote et si maigrichonne » ». A-t-elle vraiment utilisé ces mots ? C’est ce que j’avais retenu. Ma mère hésitait beaucoup, elle allait pleurer, mais mon père accepta et la parole de mon père comptait pour deux. Oh, Bon Dieu, Merci. Un mois plus tard, en juillet, je découvrais la colo, les copines, le sable, la religieuse en maillot de bain, le rocher de l’ours et l’horizon si vaste. Qu’y a-t-il derrière ? Quand je serais grande, j’irais au-delà de la mer. Prendre le large devint mon point de mire, mais il me fallait faire preuve de patience. Je n’avais que 10 ans et une mère à consoler de ses vagues de larmes.

J.C.D.

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