Vos textes à partir de « Vladivostok Circus » d’Élisa Shua Dusapin (1/2)

Pour ce septième rendez-vous de L’Inventoire, Laurence Faure vous a proposé d’écrire à partir de « Vladivostok Circus » d’Élisa Shua Dusapin (Éditions Zoé). Parmi les textes déposés sur notre plateforme, nous en avons sélectionné 8, représentatifs des thèmes abordés, et de la proposition d’écriture. Merci à tous de votre participation !
Agnès  Myara

La casse

Je ne suis pas attendue je pense, mais le propriétaire m’avait dit de venir dès que possible. À l’entrée, je présente ma carte de visite au vendeur, il grommelle et me dit de le suivre. Nous voici entre deux rangées d’étagères qui débordent de boîtes, pots d’échappements, feu de voitures, rétroviseurs. Nous sortons dans la cour où s’amoncellent portières, ailes, capots, pare-chocs.  Puis passons à côté de l’atelier de dépollution des véhicules, odeurs âcres et textures visqueuses. Vient alors la zone du « tas de platin », c’est là que les carcasses dépouillées s’empilent en attendant d’être broyées. Épaves en pagaille ! Nous logeons la grue qui enserre dans ses mâchoires les pauvres squelettes métalliques.

Arrivés au bout du terrain, un vieil homme à la barbe grisonnante apparaît. Mon hôte lui montre ma carte.

— Bonjour Mademoiselle Juliette, vous avez déjà pu venir, c’est bien !

— Bonjour Monsieur Gaston, vous m’aviez dit que c’était assez urgent.

— Oui, ce genre de chose, c’est pas trop mon truc !

Il me fait traverser une armée silencieuse de pneus entassés sur des dizaines de rangées. Odeur entêtante du caoutchouc chauffé au soleil d’été. Soudain, il me désigne un pneu tombé au sol. Deux paires d’yeux larmoyants de coryza miaulent… deux petits pensionnaires de plus. Gaston s’est souvenu que le refuge où je suis bénévole est quasiment aussi vaste que sa casse. Ce qui l’avait frappé c’est qu’il y a presque autant d’animaux abandonnés que de voitures écrabouillées !

Laurenne Fabre

Je ne suis pas attendue, je pense. Après trois coups de heurtoir sur l’imposante porte de chêne sculpté, je dois me rendre à l’évidence. Mais ces voitures de luxe alignées sur l’allée, ces rires mêlés de petits cris et notes jazzy filtrant de l’intérieur ?

J’ose un coup d’œil par l’immense vitre à carreaux biseautés sur la droite. Un homme en caleçon léopard et cravate referme une porte. Il croise mon regard. J’entends le lourd verrou tourner, l’homme, plus curieux qu’ennuyé, se tient devant moi, ayant pris la peine d’enfiler des mules en cuir.

— Sì ?

— Bonjour, fais-je professionnelle, je suis Lydia Cavarese, la traductrice pour Mr Santoni.

— Cazzo di merda ! éclate-t-il de rire. La traductrice ! Il roule ses r et glisse sur le i comme on étire un archet. Eh bien entrez Lydia Cavarese ! Vous verrez nos clients sous un jour plus… rilassato.

Mr Santoni, se présentant enfin, me fait pénétrer dans un hall de marbre au lustre à pampille. Il m’explique, alors que nous empruntons un couloir orné de portraits sévères d’hommes ténébreux, que la réunion a été déplacée au lendemain, le « petit » Antonio aura oublié de m’appeler, l’empoté, vous voyez pourquoi on lui laisse le téléphone et pas des outils plus « sérieux ». Je vois… Nous dépassons un salon, un bureau, la musique et les rires se rapprochent, je me concentre sur les épaules de Mr Santoni pour éviter son léopard. Enfin à droite : un boudoir aux canapés de velours bordeau, effluves de cigares et lumières tamisées, deux musiciens au fond et devant, une nuée de cuisses, mains les enrobant, ventres moites, plumes, chevelures mêlées de murmures masculins, torses contre joues fardées et cocktails sirotés.

Mr Santoni se tourne vers moi : « Vous resterez bien prendre un verre » ?

Véronique Cauquil

La sortie c’est par là !

Tellement de candidates, je ne suis pas attendue, je pense ce qui compte, être unique. Dans l’ascenseur qui descend, les yeux sur mes chaussures neuves je sens mon estomac se soulever.

Trac et vodka, mauvais mélange.

Niveau moins un les portes s’ouvrent, sas sombre, sur le balatum mes talons hauts traversent le bruit des vagues, seul guide vers dehors, un rayon de soleil m’éblouit, mon tailleur gris s’illumine, habit de lumière.

Devant moi un arc en béton trempé, derrière la Manche, marée montante cogne et mousse et éclate sa bouche d’écume sur la roche artificielle, bruits de voix rauque, gloussements et sons de gorge fusent encerclés et ricochent.

Les phoques couchés, demi-lunes soyeuses et leurs yeux billes noires roulent et me fixent.

— Qu’est-ce que vous faites là ! pour les spectateurs c’est l’autre côté, niveau zéro.

Dans ses bottes de caoutchouc en équilibre au bord du bassin, un plein seau brillant de poissons le soigneur me regarde à peine.

— Je hurle, ma voix engloutie… c’est pour le poste à l’accueil… mon CV, je l’agite.

Il agite un hareng …

— La sortie c’est par là !

Les phoques battent des nageoires, les spectateurs applaudissent aussi.

Gag !

Il pointe un doigt sur son badge.

Tout en me poussant vers la sortie Monsieur Gag chef de la Sécurité me fait pénétrer dans l’ascenseur, Les Ressources Humaines c’est plus haut, niveau deux, au-dessus des Requins Marteau. Les portes se referment son visage disparait, j’ai perdu une chaussure.

Pascale Kowal

J’attends la nouvelle

Je ne suis pas attendue, je pense. La femme à son guichet fait semblant de rechercher le rendez-vous sur son ordinateur. L’écran, qui se reflète dans la glace placée derrière elle ne montre aucun mouvement, parcouru d’aucune souris, placidement à la page d’un jeu de cartes, une patience, je crois. Mon trait d’ironie n’a eu aucun impact.

Autour de moi, la salle d’attente a cet air maussade si coutumier de ce genre d’endroit. Des enfilades de chaises fixées sur poutres délimitent d’étroits couloirs où peuvent circuler les nouveaux arrivants. Circuler, un bien grand mot. Le peu d’espace de circulation, le triste beige des murs, le lino olive fatigué du sol, les sièges blancs et bleus disposés en damier  – effort de gaité – le guichet derrière lequel siège la femme en blouse blanche, indifférente, apposent, sur l’esprit, une langueur, dénotée par les enfants, assis, le nez sur leurs jeux, mais sans enthousiasme. Les parents, les autres patients, silencieux ou chuchotant des informations relatives à la place de la carte vitale ou à des examens complémentaires qu’on leur a demandé d’apporter :

– Tu les as bien pris ?

– Oui, regarde, ils sont là.

– Tu as pensé à la radio ?

Le Dr Léo me fait entrer dans son bureau. Il est venu me chercher, je l’ai appelé, et nous sommes allés au bout du couloir, passant devant des bureaux portes ouvertes, portes fermées, d’autres tristesses, d’autres soucis.

Il me regarde, il va m’annoncer les résultats.

Partager