Écrire à partir de « Vladivostok Circus » d’Élisa Shua Dusapin

Pour ce septième rendez-vous de L’Inventoire sur notre plateforme, Laurence Faure vous propose d’écrire à partir de « Vladivostok Circus » d’Élisa Shua Dusapin (Éditions Zoé).
Envoyez-nous vos textes sur Teams (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 25 mai 2021 ! Vous pourrez y découvrir les textes des autres participants et échanger avec eux ! Une sélection sera ensuite publiée sur l’Inventoire.

Si vous avez déjà participé au précédent atelier, vous êtes déjà invité, sinon inscrivez-vous dès maintenant ici: Bulletin d’inscription sur la plateforme de l’Inventoire. Nous vous remercions d’envoyer uniquement des fichiers Word, caractère 12, Times, en mentionnant sur le titre du fichier votre nom et le titre de votre texte.

Écrire une arrivée dans un lieu où l’on n’est pas attendu – premiers contacts, surprise, déconvenue ?

Extrait

Je ne suis pas attendue, je pense. Pour la énième fois, le guichetier parcourt la liste des personnes autorisées. Il vient de faire sortir un groupe de femmes enchignonnées, musculeuses, les yeux bridés. Derrière la grille, j’ai aperçu le dôme de verre, la pierre marbrée sous les affiches de la saison. Je répète que je suis costumière. Le guichetier finit par se tourner vers un écran de télévision. Il ne comprend pas l’anglais, me dis-je encore, pour me rassurer. Je m’assieds sur ma valise, tente d’appeler mon correspondant, un certain Léon, le metteur en scène. Mon téléphone n’affiche plus que trois pour cent de batterie. Comme je m’éloigne en quête d’un lieu ou recharger, je suis hélée par un homme depuis l’intérieur du cirque. Il accourt en retenant ses lunettes. Son corps en longueur contraste avec celui des filles croisées plus tôt. Je lui donne la trentaine.

Désolé, s’exclame—t-il en anglais, je t’attendais dans une semaine ! Je suis Léon.

— On n’avait pas dit début novembre ?

— Si, c’est moi qui suis dans les nuages.

Nous contournons le bâtiment jusqu’à une petite cour qu’une palissade sépare de l’océan. Le rivage apparaît entre les lattes. Des lampions s’entortillent sur un arbre. Une caravane beige domine un mobilier en fer forgé, des assiettes traînent sur les tables en guise de cendriers, d’autres rougies par la sauce tomate. Sur les chaises, sous-vêtements de sport et de dentelle recroquevillés.

Léon me fait pénétrer dans un couloir sombre en arc de cercle. Il me traduit les écriteaux punaisés aux portes : administration, accès aux coulisses, arrière de la piste. Chambres et vestiaires sont au premier étage. Tout en haut, sous la coupole, le réfectoire. Nous arrivons au bas d’un escalier. Que je l’excuse un instant, il va chercher le directeur au repas. Il monte en courant.

Du haut des marches, un chat me fixe, blanc, presque rose. Je lui tends la main. Il s’approche. Sa couleur étrange est celle de sa peau. Il n’a presque pas de poils. Il se frotte à mes jambes. Je me redresse vaguement dégoûtée.

Léon revient flanqué d’un homme dans la cinquantaine, cheveux platine, qui me salue d’une main ferme. Léon traduit en simultané. Le directeur est navré du malentendu, rire bref, j’ai un peu d’avance mais bien sûr mais il ne va pas me renvoyer si loin chez moi, d’ailleurs c’est un honneur d’accueillir un jeune talent de la couture…le seul problème concerne le logement : toutes les chambres son occupées par les artistes…

Je me force à sourire, dis que je me débrouillerai. Le directeur fait claquer ses mains, c’est donc parfait ! que je n’hésite pas à le solliciter si nécessaire.

C’est comme cela que démarre ce roman : la jeune costumière débarque dans un cirque russe, un jour décembre et on ne l’attendait pas si tôt… Formidable occasion pour l’auteure de ciseler un texte, dynamique, en mouvement, un peu comme un traveling de cinéma : il donne à voir et à traverser le lieu par les gens qui y sont (des « figurants » au guichetier, puis au metteur en scène, Léon, jusqu’au directeur) et par les volumes (le guichet, le hall, le dôme qu’on aperçoit, la petite cour… jusqu’à la coupole), à utiliser à la fois le dialogue direct (les tirets, qui ressortent particulièrement) et le discours indirect, et nous faire voir des éléments comme des indices à comprendre (le téléphone, les lunettes, la palissade, les lampions, les vêtements oubliés..).

L’extrait ici se termine avec le directeur qui a réglé l’affaire… et laissé la narratrice dans une grande déconvenue…

Proposition d’écriture

À vous d’imaginer une situation, plutôt dans un cadre professionnel, où un personnage, qui sera la narratrice/le narrateur de cette scène, débarque dans un lieu, qu’elle/il ne connaît pas et où elle/il n’est pas attendu, rencontre enfin quelqu’un avec qui démarre une conversation.

À vous de nous faire traverser le lieu, de façon dynamique, de nous faire rencontrer des personnages et de nous le faire voir, entendre, sentir cet instant.

Je vous invite à utiliser au début : Je ne suis pas attendue, je pense (tout premiers instants, les lieux, les gens) , à introduire un extrait de dialogue par trois tirets, à poursuivre la narration (continuer à traverser le lieu et rencontrer des gens) par un nouveau paragraphe qui démarre par… (nom d’un personnage) me fait pénétrer…

En 1500 signes !

Le livre

Vladivostok Circus, paru en 2020 chez Zoé, de la talentueuse Elisa Shua Dusapin, emmène le lecteur dans un cirque à Vladivostok, non du côté représentation mais du côté décor, coulisses et conception et répétitions d’un numéro de barre russe.

La narratrice, Nathalie, jeune costumière tout juste diplômée, débarque dans un cirque, en fin de saison, pour aider à mettre au point un nouveau numéro qui réunit une acrobate, les deux porteurs de la fameuse barre russe et leur metteur en scène.

Dans une écriture ciselée, surprenante, observatrice, il est ici question de corps, de relations, d’équilibres entre 5 personnages à la fois solitaires et solidaires. La barre russe est une

discipline difficile, exigeante, qui suppose une grande confiance, il y va de la vie de l’acrobate. Cette barre, comme singulière « métaphore des relations humaines », livre l’auteure dans un entretien,

J’ai beaucoup aimé ce roman parce qu’il est question de corps ! Sans doute mon passé de mime et mon apprentissage de l’acrobatie m’ont rendue à la fois très curieuse et très proche de ces personnages et de leur univers. Je ressentais avec eux jusqu’au fonds de mes fibres musculaires …J’ai beaucoup aimé cette écriture surprenante où il n’est pas question de livrer au lecteur la psychologie des personnages mais de lui donner des indices par leurs gestes, leurs sensations, parfois leurs propos. Et puis le cirque, le lieu lui-même, en Russie, en plein hiver, fermé, où s’élabore le numéro, est un magnifique terrain d’explorations, de surprises, d’ailleurs possibles. Cela se fait non par les lumières et les paillettes, mais par les mystères, les étrangetés (comme l’odeur des bêtes qui ne sont plus là depuis longtemps) ou le commun dérisoire (les douches) qui font écho à ce qui circule, et parfois se révèle entre les personnages.

Pas d’amour, pas d’amitié, surtout pas de haine ou de trahison, mais de l’exploration où les corps comme les intériorités se cherchent dans la quête d’un désir.

L’auteure

Elisa Shua Dusapin est une jeune auteure à la fois Suisse et Coréenne. Elle a déjà publié deux romans remarqués et primés : Hiver à Sokcho et Les billes du Pachinko aux éditions Zoé.

L.F.

Laurence Faure animera plusieurs formations : Écriture théâtrale – Initiation du 05 au 07 Juillet 2021. Et actuellement : Écrire d’un pays lointain – soirées – module de Mai à Juin 2021 à distance.

Toutes  ses  formations ici.

Partager