Vos textes à partir du roman « Les billes du Pachinko » d’Elisa Shua Dusapin (1/2)

Cette semaine, Alain André vous a proposé d’écrire à partir du deuxième roman d’Elisa Shua Dusapin, Les Billes du Pachinko (Zoé, août 2018). Parmi les textes reçus, nous en avons sélectionné 8, que nous publions en deux posts, pour leur donner plus d’espace. Merci à tous de votre participation !
Isabelle Levet

Le Moulin

Élisa repéra avec soulagement la boîte aux lettres rouge sensée marquer l’entrée du chemin. Elle appuya sur les pédales pour atteindre au plus vite l’intersection car l’orage grondait. La piste la conduisit vers un espace dégagé au milieu duquel se dressait le moulin. La pierre sombre et le marronnier centenaire qui en gardait l’entrée, donnaient à l’ensemble une allure presque sinistre.

Elle tentait d’ignorer le malaise qui la gagnait lorsqu’elle repéra la femme qui se hâtait de faire entrer au bercail ses quelques brebis. Elle ne semblait pas avoir deviné sa présence, ce qui laissait à Élisa tout loisir de l’observer : La cinquantaine fatiguée, les cheveux coiffés sans grâce, le visage triste et fané, la  robe d’été défraîchie, beaucoup trop courte pour cacher les jambes variqueuses et des sandales qui avaient connu des jours meilleurs… Le spectacle qui s’offrait à Élisa lui donnait l’envie de s’éclipser au plus vite.

Trop tard ! La femme releva les yeux à cet instant et croisa ceux d’Élisa.

Le ton revêche de la mal-fagotée n’incitait vraiment pas Élisa à exposer sa requête. Se faisant violence, elle lui demanda tout de même une chambre pour la nuit. La métamorphose qui s’opéra alors, fut saisissante ! Un sourire illumina le visage de la mégère, redonnant au regard tout son éclat, effaçant par magie, rides et fatigue.

Il était clair qu’elle se réjouissait d’avance de cette compagnie inespérée. Attendrie, Élisa répondit au sourire et emboita le pas à la bergère…

I.L.

DP
Émilia Nice

Incertaine rencontre

Pas de rouge à lèvres, juste un baume hydratant, un peu de rimmel sur les cils, les cheveux lâchés. Elle a choisi une tenue simple : pantalon de coton noir, tunique près du corps, noire aussi, soulignée d’un liseré multicolore, léger décolleté, chaussures argentées à talons bobines. « On se fiche des apparences ! » se sont-ils déclaré dans leurs échanges sur le net. Elle descend à pas vifs la rue où ils vont se rencontrer, dans sa ville à elle. Son coeur bat vite, à petits coups secs, nerveux. Elle est fébrile, a le souffle court. Elle s’arrête, ferme les paupières, respire à fond plusieurs fois, se juge ridicule puis reprend sa marche plus calme. L’air est chaud, la lumière automnale rougeoie.

Elle le voit, à demi assis sur une barrière, devant son hôtel. Elle stoppe sur le trottoir d’en face. Cheveux châtains, tête baissée, il pianote sur son portable. Il est très grand, barbu comme il l’avait écrit, vêtu d’un pantalon et d’une veste en jean sur une chemise bleu ciel. Surprise, elle le trouve beau, jeune. Une onde de douceur détend son corps. « Psitt ! » fait-elle avant de traverser, encore inquiète.

Elle ne sait pas s’il sourit. Elle est bouleversée par son regard gris, direct, par sa voix grave quand il se présente « Monsieur Dumont ». Elle rit, se hausse sur la pointe des pieds pour déposer une bise sur sa joue. « Je suis Emilia. » Alors il repousse avec douceur une mèche de ses cheveux derrière son oreille et l’embrasse, abolissant leurs vingt ans d’écart.

E.N.

DP
André Bréfort

Sortie de secours

Ses  pensées s’écaillaient sur le plafond  de la chambre. La nuit  recouvrait l’immeuble. Des bâches de ravalement filtraient la lumière par une multitude d’étoiles agitées. La femme n’avait pas dormi. Son édredon scintillait de constellations. Les chiffres lumineux égrainaient les minutes rouges. Sur la table de nuit, une boite de somnifères froissée côtoyait le badge de la société de ménage. Les trois singes de la sagesse surveillaient des mégots piétinés. Le réveil sonna. La femme souleva son corps fatigué. 6H30.

Arrivée devant l’ascenseur, le bouton d’appel avait été brûlé. Le couloir tomba dans le noir. Des ordures des étages supérieurs dévalaient le conduit en cascade étouffée. Elle alluma la lumière. Sur le palier un scooter désossé perdait de l’huile. Dixième étage.

Ses pieds boudinés  entamaient la descente par la sortie de secours. Douloureux. La femme, marche après marche, posait  ses sandales dans la pénombre du béton. Une canette rouge  s’échappa, dévala l’escalier à coups de cris métalliques. Elle s’arrêta au premier palier. Des feuilles de journaux faisaient  la ronde dans un courant d’air glacial. La femme souffla. De plus bas, un chant lancinant accompagnait  les courants d’air. Un grand africain au visage peint montait vers la femme. Les motifs de son boubou dansaient, il s’arrêta, prit sa main. La femme se laissa porter. Perdue dans ses grands bras. Ses pieds se balançaient au rythme des marches.

A.B.

DP
Lysiane Panighini

 

L’hôpital de Créteil est un cube sans fioritures. Juste des fenêtres alignées sur plusieurs étages.

Le  hall d’accueil qui n’en porte que le nom présente un contraste saisissant avec la lumière automnale.

— La chambre de Mme Dubreuil s’il vous plaît?

— 328

 

Des couloirs silencieux, déserts.

Les numéros se suivent, Margritte marche vite en suivant les panneaux « oncologie ».

La porte de la chambre 328 est ouverte.

Sans frapper, elle entre.

 

Malgré une pénombre engendrée par le store baissé, Margritte peut voir une tête de femme posée sur l’oreiller, sans âge, amaigrie.

Son regard ne s’attarde pas et se dirige vers la table de chevet sur laquelle se trouve un pot d’eau gélifiée vert fluo, un mouchoir blanc plié bordé de dentelle, une carte postale ridicule avec des cocotiers.

Au sol, une paire de charentaises neuves, rouges.

Sur l’oreiller, la tête s’anime.

Intriguée, Margritte la regarde en douce.

Une couronne de cheveux gris et longs.

Sur le drap, une main, juste une main, décharnée comme une patte de poulet, se dit-elle.

La comparaison lui donne envie de rire.

Sur l’oreiller la tête ouvre les yeux. Bleus, transparents, comme des calots.

Une voix.

— Je vous connais ?

—   Non…

— Votre visage me dit quelque chose.

—  Ah…

Margritte  se sent vide, froide. Sans compassion.

 

Sur l’oreiller, la tête ébauche un sourire.

–  Qui êtes-vous ?

Posée sur ses deux jambes, les bras ballants, Margritte ne répondra pas.

L.P.

Partager