Amanda Lindhout : « La visualisation intérieure possède un grand pouvoir sur la vie »

Amanda Lindhout à Paris, janvier 2017

Amanda Lindhout est une jeune journaliste canadienne lorsqu’elle s’aventure en Somalie pour y faire un reportage avec un photographe. Ils y sont kidnappés par un groupe islamique. Elle restera en détention 460 jours et subira tortures et viols. Pourtant, au cœur de l’enfer, Amanda Lindhout développera des capacités de survie insoupçonnées, saura s’arrimer au plus petit signe de présence divine, comme cet oiseau entraperçu après 10 mois d’enfermement. Son livre « La Maison dans le Ciel » est un récit passionnant sur son parcours, de ses voyages à sa détention. Un récit qui laisse entrevoir ses incroyables capacités de résilience, et dont la survie a aussi parfois tenu à la visualisation d’une maison dans le ciel, emplie de ses amis, de sa famille et représentant sa vision du bonheur.

De retour au Canada, elle a débuté son parcours de reconstruction, et écrit ce livre avec la journaliste Sara Corbett. Publié en 2014 aux Etats-Unis, il est rapidement devenu un best-seller mondial. A l’occasion de sa traduction en français et de sa publication par la maison d’édition Séramis, nous avons rencontré Amanda Lindhout pour qu’elle nous parle de l’écriture de ce récit autobiographique.

Avec vivacité et clairvoyance, parfois avec humour, ce récit ne contient pas d’auto apitoiement et ne s’appesantit pas sur le plus douloureux, mais renferme au contraire beaucoup d’espoir, une fureur de vivre et une volonté farouche de s’en sortir.

“Dans la maison brulée, je prends mon petit-déjeuner.

Vous avez compris: il n’y a pas de maison, il n’y a pas de petit-déjeuner, pourtant, c’est là que je suis”. Margaret Atwood “Matin dans la maison brûlée” (Morning in the Burned House)

Après avoir survécu en Somalie, en tant qu’otage de terroristes, vous avez écrit ce livre « Une Maison dans le Ciel ». Comment vous est venue l’impulsion de l’écrire, qu’est-ce qui vous en a donné le courage ?

Amanda Lindhout : Eh bien, j’ai toujours adoré écrire. Pour être honnête, avant d’avoir eu cette terrible expérience, j’avais toujours eu à l’intérieur de moi cette pensée « Un jour, j’écrirai un livre ». J’avais des idées sur différentes choses, mais je ne sais pas exactement quoi, c’était, moi, dans le futur… Et puis tous ces événements ont eu lieu et en rentrant au Canada, beaucoup d’éditeurs m’ont contactée en me disant « On veut votre histoire ». Mais à ce moment là, je me sentais très mal, j’étais traumatisée et je ne savais pas si je voulais le faire. De plus, c’était une énorme chose à accomplir, car je n’avais jamais écrit de livre. Puis je me suis demandé à quoi cela pourrait ressembler, et que c’était peut-être une opportunité… et ainsi j’ai décidé très tôt que si je le faisais je travaillerais avec un autre écrivain, qui avait de l’expérience dans l’écriture. Je ne connaissais pas encore Sara Corbett (avec qui j’ai écrit ce livre), dont maintenant je suis si proche…

Cela doit être très difficile d’écrire ce genre de livre

Oh oui ! C’est pourquoi à travers un agent littéraire, je suis entrée en relation avec Sara. J’avais auparavant rencontré d’autres écrivains mais n’avais jamais senti que ça marcherait. Avec Sara, nous avons parlé au téléphone, je l’ai bien aimée et ressenti une bonne connexion. Elle est venue des États-Unis au Canada pour me voir, nous avons passé tout un week-end ensemble et je me suis immédiatement sentie en confiance avec elle. Durant ce week-end, nous avons commencé à planifier comment nous pourrions travailler ensemble et ce à quoi pourrait ressembler ce livre. Ce que j’ai particulièrement apprécié chez Sara, c’est que, si tous les éditeurs canadiens n’étaient intéressés que par les 460 jours que j’ai passé en Somalie, elle a compris qu’il y avait une histoire plus vaste à raconter : mon enfance, mes premiers voyages. Elle a dit cette chose qui a réellement résonné : « Pour moi, ton histoire est comme un parcours initiatique. L’histoire d’une femme jeune et ambitieuse qui cherche à tracer sa route à travers le monde et qui, à un moment donné rencontre des problèmes. Ce ne sont pas juste des mémoires de captivité, c’est plus large que ça ». Ça m’a beaucoup plu et c’est pourquoi je lui ai répondu « Ok, on va le faire ». On a donc écrit une proposition pour des éditeurs sur cette base. J’aurais pu réaliser ce projet avec un éditeur canadien, mais notre but était d’en faire un livre à portée internationale, et nous savions que pour cela, il nous fallait trouver un maison américaine. C’est l’éditeur Scribners, du groupe Simon and Shuster, à l’empreinte littéraire très marquée, qui a acheté le livre. C’est de là que nous sommes parties, et de ce point, il a fallu trois ans et demi pour l’écrire.

Trois ans et demi ?

Amanda Lindhout: Nous avons vraiment pris notre temps, pour privilégier la qualité littéraire du livre, et également parce que c’était une histoire tellement difficile à raconter. Parfois, j’avais besoin de faire un pas de côté, quand vraiment parler, penser et écrire à propos des abus sexuels et de la torture subis, ou d’autres choses vraiment dures, étaient trop difficile. Il faut se reporter à il y a plusieurs années, j’avais besoin de temps pour en parler dans un cadre thérapeutique, pour pouvoir y revenir ensuite, dans le cadre de l’écriture. J’étais en train de travailler sur toutes ces choses et j’avais tous ces souvenirs traumatiques, donc c’était un aller et retour, avec des pauses.

Les éditeurs voulaient par ailleurs que ce soit un livre de qualité, ils m’ont dit « Prenez votre temps, il n’y a aucune pression sur le deadline ». Ils nous ont réellement donné du temps. J’ai toujours su que nous étions en train d’écrire quelque chose qui survivrait au temps, pas juste un livre qui arrive sur les tables des libraires et disparaît. C’est un vrai portrait de femme, parce que nous en avons retracé le cheminement. On pourra le trouver et le lire dans dix ans encore j’espère. C’est tout un processus, pas juste des faits !

L’Inventoire: Comment avez-vous procédé pour élaborer ce manuscrit ensemble ?
Sara Corbett

Amanda Lindhout : Sara Corbett habitait dans le Maine, sur la côte Est des États-Unis, et je vivais à Alberta (à l’Ouest du Canada), cela faisait donc une certaine distance !

Alors voilà comment nous avons procédé. On se parlait au téléphone (d’ailleurs on se téléphone encore tous les jours).

Nous choisissions de très jolis endroits, comme Mexico ou les Bahamas, pour louer une maison quelques jours afin de construire le plan des différentes parties du livre (au fur et à mesure). Pendant la période suivante, Sara écrivait une esquisse de chapitre avec beaucoup de questions, et me l’envoyait. J’y répondais alors et commençais à écrire à partir de cette trame, puis je lui renvoyais le chapitre, elle me le renvoyait remanié, et ainsi de suite jusque ce soit parfaitement fluide. Nous avons procédé de manière chronologique, et chaque chapitre a fait l’objet de 20, 30 à 40 allers-retours car nous sommes toutes deux perfectionnistes, et ce n’est que lorsque nous étions parfaitement satisfaites que nous passions au chapitre suivant.

Ainsi j’écrivais, elle ajoutait des éléments et posait plus de questions, j’y répondais, elle réécrivait en intégrant ces éléments, me le renvoyait pour que je corrige… J’ai adoré travailler ainsi car on peut dire que chaque mot est le fruit de notre collaboration. Mais c’est un écrivain tellement merveilleux qu’une grande part du mérite du livre lui revient pour ça.

Sara Corbett travaille au New-York Times ?

Amanda Lindhout : Elle écrit régulièrement pour le NY Times, mais aussi pour le Magazine Vogue. Bientôt d’ailleurs « Une Maison dans le Ciel » va faire l’objet d’une adaptation pour le cinéma à Hollywood et c’est elle qui écrit le script. Elle réalise actuellement la dernière version, pour un tournage prévu cet automne. Alors on peut dire qu’elle a vécu la vie d’Amanda Lindhout depuis un long moment !

Participez-vous aussi à l’écriture du scénario?

Amanda Lindhout : Quand le livre est sorti, il a été un tel succès que beaucoup de studios de cinéma en ont voulu les droits. Et là encore je me suis demandée : qu’est-ce que je veux ? Pour que le film respecte mon histoire, je ne voulais pas qu’un scénariste qui ne me connaisse pas l’écrive. Sara avait déjà fait des scénarios et elle connaît mon histoire comme personne. Elle ne ferait pas du sensationnel, et la raconterait comme elle était.

Sara m’a dit également que si elle réalisait le scénario, ce qui représente beaucoup de travail, cela deviendrait son projet et j’ai dit d’accord. Cela faisait partie de mes exigences que ce soit Sara qui écrive le script et la maison de production à laquelle nous avons vendu le projet a aimé l’idée. C’est une grosse compagnie et je suis très heureuse de leur façon de travailler, même si je n’ai pas encore lu le script dans sa version finale. Je fais tellement confiance à Sara, ainsi qu’à toute l’équipe de production. Je le lirai quand il sera terminé.

Ma contribution sera d’être consultante sur le film, alors jusqu’à présent je n’ai pas eu grand-chose à faire, le vrai travail commencera au moment de la mise en production. Je serai sur le tournage, avec les acteurs, pour donner un feedback sur tout, ce sera un vrai travail, avec beaucoup de temps de présence, ils comptent sur moi !

L’un de mes passages préférés de votre livre, c’est ce moment où vous êtes avec une amie, Kelly, sur un ponton face à la mer, un instant où l’on ne sait pas exactement ce qui se passe, c’est un peu mystique

Amanda Lindhout : Ce passage ? Un moment de bonheur, de liberté et de joie.

J’aimerais voir ce passage dans le film. Dans le premier tiers de votre livre vous décrivez très bien combien le monde peut être magnifique, c’est une révélation qui donne envie d’en faire l’expérience, moi qui ai peur de voyager !

Amanda Lindhout : Je suis contente que vous citiez cette partie du livre, beaucoup de lecteurs le citent aussi. Je veux dire que si vous lisez seulement la quatrième de couverture, vous pourriez simplement penser que cette histoire va vous effrayer de voyager à travers le monde, mais pour beaucoup de gens, c’est l’inverse. Beaucoup de jeunes femmes, quand j’en lis des passages lors de mes lectures, viennent me voir à la fin pour me dire « J’aimerais être comme vous, faire le tour du monde, avez-vous des conseils ? ». Sara a également beaucoup voyagé. Nous voulions montrer la beauté du monde, aussi. Nous ne voulions pas que les gens lisent le livre et soient effrayés par le monde, mais qu’ils comprennent combien il y a de beauté et de liberté à découvrir. Ok, ne pas aller en Afghanistan et en Somalie, mais dans la plupart des autres pays il y a des endroits magnifiques.

En effet, j’ai pu me relier à votre sensation du début, quand vous étiez anxieuse de partir, durant votre premier voyage (en Amérique du Sud), et j’ai pensé, elle a eu peur et elle a dépassé sa peur. Ce n’est pas parce qu’on a peur qu’on ne doit pas partir.

Amanda Lindhout : Je me suis allégée et j’ai juste essayé d’être. C’était comme de découvrir cette confiance en soi, cette capacité à l’intérieur de moi-même à être dans le monde, et de découvrir, loin de mon enfance compliquée, qu’ailleurs, j’étais capable de prendre soin de moi-même.

Je sais comment faire les choses, comment rencontrer des gens, ce qui m’a donné beaucoup de confiance en moi, de sorte que je n’ai eu de cesse de progresser, de franchir des frontières, de repousser mes limites. Et puis, surtout quand vous avez 20 ans, vous pensez que le monde vous montre sa vérité, il y a aussi une forme d’innocence dans cette découverte. Un peu de naïveté aussi.

Tenez-vous un journal ?

Amanda Lindhout : Oui, heureusement. J’en tiens un depuis que je suis petite, depuis mes 8 ou 10 ans, et j’ai continué au fil des années. Par exemple pour « Une Maison dans le Ciel » cela nous a aidé pour le cœur du livre au tout début. J’avais tous ces journaux de voyage que je tenais quand j’allais en Inde, au Bengladesh, tout autour du monde. J’avais gardé tous mes journaux sur tous ces voyages ! Et quand Sara les a vus elle a dit : « C’est une mine d’or ! ». Tous ces carnets ! Les livres que je lisais, à quoi je pensais à ce moment-là, tout ça était dans ces journaux ! Alors oui, je continue à tenir mon journal, c’est une habitude que j’ai.

Avez-vous un autre projet de livre ?

Amanda Lindhout : Je continue mon journal, je l’ai toujours dans mon sac à toute heure. L’idée oui, est à un moment, d’écrire un autre livre. Je ne suis pas pressée cependant. Je saurai quand ce sera le bon moment. Mais ce sera un livre plus tourné vers la guérison, la vie de l’autre côté. Comment j’ai traversé ces épreuves, le choc traumatique (Commencement Stress DisorderPCSD), qui est pour l’instant toujours là. Maintenant ça va beaucoup mieux, mais dans les premières années c’était terrible. Il était très douloureux de revenir à ma vie passée, alors que je n’étais plus la même personne que celle qui était partie, et la solitude de ça. L’idée c’est qu’il y aura un autre livre, mais je ne sais pas exactement quand.

Sept ans après, quels sont vos projets?

Amanda Lindhout : Une productrice de télévision a récemment lu le livre et m’a dit “Avez-vous jamais pensé à animer une émission à la télé? ». Au Canada le livre s’est très bien vendu, il a été dans la liste des 10 best-sellers pendant trois ans, ce qui en fait le record absolu des titres jamais vendus là-bas. C’est fou. À peu près chaque semaine, il était en tête des ventes, c’est pourquoi les canadiens connaissent bien mon histoire.

Il existe donc une audience potentielle et c’est pourquoi animer une émission à la télé canadienne serait assez naturel, parce que les gens s’intéressent à mon parcours.

Vous voyagez toujours?

Amanda Lindhout : Oui, mais pas dans les mêmes pays… Je ne retournerai pas en Syrie, en Irak ou en Somalie, mais j’ai de la chance car j’effectue de nombreuses conférences à travers le monde. Ce n’est pas une chose très répandue en France, mais aux États-Unis, c’est devenu carrément une industrie. Quand vous avez écrit un best-seller, les universités vous invitent beaucoup pour parler de votre expérience. Rien que l’année dernière, j’ai voyagé dans 25 pays.

Vous parlez de votre expérience ?

Amanda Lindhout : Je partage mon histoire avec le public et c’est pourquoi mes conférences ont du succès. Cela fait 5 ans maintenant et c’est un peu devenu comme mon job principal et ma source première de revenu.

Lors de ces conférences, je ne parle pas que de ma folle histoire, je parle surtout des choses que j’ai trouvé en moi-même pour survivre. Les outils de l’esprit, du cœur, la pensée positive, le choix de pardonner, tout ce qui m’a aidée à avancer après, comment j’ai pu commencer à guérir. L’année dernière j’ai fait une série de grandes conférences avec des médecins et des psychologues, regroupant 300 praticiens venus du monde entier et j’ai juste parlé de comment on peut guérir, se sortir d’une chose comme ça. Alors, c’est très intéressant pour moi, cela devient un job et j’adore ça.

Vous pratiquez beaucoup la méditation?

Amanda Lindhout : Tous les jours. Et la prière. Je ne suis pas une femme religieuse mais tournée vers la spiritualité, et cela constitue une part très importante de ma vie. En voyage, j’écoute toujours de la méditation dans mes écouteurs, j’ai toujours cette musique avec moi et quand je m’assieds dans un avion, cela me connecte immédiatement à… je ne sais pas comment l’appeler… Dieu ?

Votre espace de spiritualité intérieure ?

Amanda Lindhout : Oui. C’était une découverte en Somalie. J’étais intéressée par cela avant, mais en Somalie j’ai vécu une telle connexion que cela vous change en quelque sorte. C’est une chose très précieuse sur laquelle je n’ai aucun doute, nous sommes connectés, et cela a été le plus précieux cadeau de cette expérience dévastatrice : comprendre et se connecter à Dieu. Cela a changé toute ma vie.

Á propos du sens du titre de votre livre « Une Maison dans le Ciel », est-ce une manière de visualiser un endroit où vous êtes libre, et en sécurité, une métaphore ?

Amanda Lindhout : Oui, et j’ai eu ma « maison dans le ciel » en Somalie, mais même maintenant quand je prend l’avion, j’ai toujours une sorte de maison dans le ciel. Je visualise ce à quoi j’ai envie que ma vie ressemble dans quelques années, la carrière, d’autres aspects… En fait, la visualisation possède un grand pouvoir sur la vie.

Pour ces shows télé, de quoi s’agit-il ? Des conseils pour se sentir mieux, un parcours de résilience ?

Amanda Lindhout : Non, ce serait du journalisme d’investigation, des programmes d’une heure. Chaque épisode se déroulerait dans un pays différent. C’est un concept avec une équipe réduite : moi, le producteur et le cameramen. Pour un grand nombre de gens ne voyageant pas, qui ignorent comment on va en Inde par exemple. Donc, on me voit partir en Inde, la préparation du voyage, l’organisation des interviews, puis le reportage lui-même, centré sur un thème pour chaque épisode.

Pour l’Inde par exemple, ce pourrait être ces prisons de femmes et les conditions terribles dans lesquelles elles sont enfermées avec leurs enfants. Souvent, elles ont du partir de leur foyer pour fuir les maltraitances répétées de leurs maris qui les abusaient. Elles ont été mises en prison, elles, pour deux ans… et ont donné naissance à des enfants en prison. Donc, ce sont les coulisses du reportage et le reportage lui-même qui fait l’objet d’une histoire.

Vous me voyez aller dans ce pays, comment je décroche l’interview, l’interview elle-même, et cela devient comme un reportage sur cette histoire. Il n’existe rien de semblable actuellement et il y a une place pour ce genre de programme. Au Canada les gens savent à quel point je suis intrépide, et cela a du sens que je voyage pour faire ces documentaires.

Beaucoup de choses se passent l’année prochaine !

Amanda Lindhout : Oui, surtout qu’une autre chose importante s’est passée cette année. Un de mes kidnappeurs a été arrêté. Vous avez bien entendu ?? Son procès aura lieu en octobre pour tout un mois, j’y témoignerai, ma mère aussi, alors oui, c’est une année très importante pour moi : un film, un show télévisé en production, continuer à défendre mon livre dans d’autres pays…

C’est peut-être comme un nouveau départ, une période qui se clôt grâce au procès ? Même si l’on tente de pardonner, c’est important qu’il soit puni.

Amanda Lindhout : Oui, c’est la conséquence de ses actions. C’est très bien. Oh oui. Au tribunal il sera assis, il pourra m’entendre, mon témoignage, et je pense que cela me redonnera de la force, du pouvoir. Je suis sure qu’il n’a jamais lu mon livre, mais il devra m’écouter raconter mon histoire. Je sais qu’il a déjà passé un an en prison en attendant le procès, alors maintenant il a fait aussi l’expérience de ce que c’est que de perdre sa liberté. Il mérite d’être en prison bien sur, mais c’est toujours pareil, l’essence de ce que c’est que de perdre sa liberté est difficile pour tout le monde, même pour un criminel, soudain derrière les barreaux. Il a quatre enfants et une femme, tous restés en Somalie, je suis sure qu’il ne les reverra plus car il restera toute sa vie en prison. Il n’y a aucune chance qu’il soit déclaré « non coupable », vous savez, il y a des preuves irréfutables alors maintenant sa réalité c’est la perte de sa liberté, la perte de sa famille, et la perte de sa vie, alors quand il va m’entendre raconter mon histoire, peut-être que d’une certaine manière cela va faire écho en lui, même de manière différente mais de façon émotionnelle quant à ce que c’est. J’espère qu’il ressentira quelque chose.

C’est-à-dire ?

Amanda Lindhout : Quelque chose comme du remords, celui d’avoir fait ça à quelqu’un. Il pourrait ressentir un peu, un tout petit peu seulement, ce que ça fait.

Amanda, qu’est-ce qui est important pour vous, dans votre vie, maintenant ?

Amanda Lindhout : Je dirai, apporter ma contribution à la compréhension du monde. Je ressens que ma place sur terre, en traversant toutes ces expériences horribles puis en me demandant, une fois revenue « quel est le sens de tout ça ?», est surement de pouvoir partager ça avec les autres.

Ce que je veux dire c’est que je pourrais mettre tout ça de côté, mais que j’ai choisi de partager ce que j’ai appris à travers un livre, des conférences… pour montrer que vous pouvez surmonter, vous pouvez survivre. J’essaie de porter cette contribution pour inspirer les autres, comme par exemple lors de ces conférences. Tous ces gens me paient pour que je vienne faire ça, non ?

Mais si je fais une conférence, un débat à l’université de Toronto, en même temps, je vais aussi parler dans un refuge pour femmes, et cette fois gratuitement, de même que je vais dans des prisons pour femmes pour partager et peut-être leur apprendre quelque chose qui sait ?

C’est ma contribution, c’est vraiment très important pour moi. Ainsi que la famille, dire combien la famille c’est important. Mon beau-père, ma mère, mon frère…

Quand vous ne savez pas si vous les reverrez un jour, qu’ils ne le savent pas non plus, vous appréciez mieux chaque moment de votre relation avec eux. Il y a une sorte de proximité maintenant dans ma famille qui n’existait pas avant. C’est une très bonne chose qui est née de cette expérience affreuse, une sorte de connexion dans notre famille, en particulier entre ma mère et moi. Elle m’a sauvé la vie[1]. C’est incroyable.

Propos recueillis par Danièle Pétrès

 

Trouver le livre et accéder à tous les articles de presse : https://www.facebook.com/editions.seramis

Pour en savoir plus :http://www.lci.fr/societe/sept-a-huit-le-calvaire-d-amanda-lindhout-retenue-captive-460-jours-par-des-terroristes-en-somalie-2028039.html

[1] La mère d’Amanda Lindhout était caissière dans un supermarché et son père était invalide. Elle a donc du mobiliser des centaines de personnes pour réunir la rançon de 650 000 dollars demandée par les ravisseurs. Elle a soutenu au téléphone sa fille également, pendant des mois, lorsque celle-ci était autorisée à lui parler.

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