Écrire à partir de L’Affaire Arnolfini de Jean-Philippe Postel

Cette semaine, Solange de Fréminville vous propose d’écrire à partir d’un roman d’investigation, L’Affaire Arnolfini. Les secrets du tableau de Van Eyck, de Jean-Philippe Postel (Actes Sud, 2016). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi, caractères espaces compris) jusqu’au 20 novembre à l’adresse suivante : atelierouvert@inventoire.com.

La version de votre texte doit être envoyée sous Word ou équivalent – nous n’acceptons pas de fichier PDF- en indiquant en haut votre nom.

 

Extrait

Voici un extrait de ce qu’écrit Daniel Pennac dans sa préface au livre :

« Ces pages, que je tournais à toute allure, me démontraient clairement que je n’avais pas vu ce que j’avais vu, que je n’avais rien vu de ce qu’il y avait à voir ! La passion que j’ai prise à la lecture de Jean-Philippe Postel tient moins à la description du tableau de Van Eyck (je croyais le connaître bien) qu’au décorticage implacable de toutes ces illusions d’optique que j’appelais mon « souvenir » de ce tableau.

Que voyons-nous ? Ce tableau est archiconnu ; quiconque l’a eu sous les yeux ne serait-ce qu’une fois s’en souvient. D’emblée il suscite l’admiration par sa facture et par un je-ne-sais-quoi d’intemporel – un souffle, un rythme. Il a fait couler beaucoup d’encre.

Mais, quoi qu’on ait pu dire à son sujet un mystère demeure : nous nous trouvons, le contemplant, dans la situation du lecteur d’un roman policier à énigme auquel manquerait le dernier chapitre. Il aimante, il attire, on pourrait presque dire qu’il appelle, mais nous avons beau regarder, nous n’y voyons rien – ou plutôt, nous voyons qu’il y a quelque chose à voir mais nous ne voyons pas quoi.

Le fin mot nous échappe. Le sens se dérobe. Débrouillez-vous avec ça, nous disent cet homme et cette femme qu’on appelle depuis plus de cent cinquante ans Les époux Arnolfini.

En y regardant de près, cependant, il apparaîtra que tout est là, sous nos yeux, depuis toujours. Si nous n’y voyons rien, c’est que des leurres disposés avec une habileté souveraine distraient le regard et l’esprit, et font que ce qui a été peint demeure inaperçu : stratagème propre aux illusionnistes et aux auteurs d’énigmes policières (telle l’Agatha Christie des Dix Petits Nègres), que par un prodigieux tour de force Van Eyck parvient à y mettre en œuvre en peinture.

Et Jean-Philippe Postel p.55 : « Et voici qu’à cause du petit chien, la scène de la chambre et la scène du miroir nous apparaissent comme n’étant pas exactement superposables. Laquelle des deux devons-nous croire ? Ce que nous disent nos yeux est décidément contradictoire : d’un côté nous voyons le petit chien, nous croisons son regard, il n’y a pas plus vivant, pas plus réel que lui ; de l’autre, nous avons beau chercher, nous voyons bien que le miroir ne le réfléchit pas. De sorte que se dessinent les deux prémisses et la conclusion difficilement recevable d’un syllogisme pourtant valide. Première proposition : le miroir ne reflète que la réalité tangible des choses. Seconde proposition : le petit chien ne se reflète pas dans le miroir. Conclusion : alors le petit chien est en dehors de la réalité tangible des choses – il est illusion, simulacre, vision, apparence.

Attardons-nous sur le miroir : voilà ce que nous suggère, pour le moins, la déroutante conclusion de ce syllogisme. Et de fait, il suffit de prendre le temps, d’ouvrir les yeux, de comparer point par point la scène de la chambre et celle du miroir (en s’aidant au besoin d’une loupe), et l’on remarquera de bien étranges anomalies. Le visage de la femme, par exemple, où donc est son reflet ? Les mains jointes du couple, en quel point du miroir ? Qu’est-ce que cette salissure noire à la place de la main que tend l’homme à la femme ? Et cette mèche entortillée qui s’en échappe, contourne le vêtement de l’homme par-derrière et se dissout à proximité de la fenêtre ouverte, qu’est-ce que c’est ? Quelque chose d’obscur et de confus se dessine : nous voyons à présent dans un miroir d’énigmes. »

Nighthawks – Institut d’art de Chicago (USA)
Suggestion

Inspirés par l’investigation de Jean-Philippe Postel sur le fameux tableau de Van Eyck, vous allez vous aussi mener l’enquête librement sur un tableau. J’ai choisi une toile très connue du peintre américain Edward Hopper (1882-1967). La toile s’intitule « Nighthawks » en anglais et « Noctambules » en français.

Comme la toile de Van Eyck, les peintures de Hopper ont intrigué et inspiré beaucoup d’écrivains et de cinéastes. Sans doute parce qu’elles montrent des décors en attente d’un événement, ou bien parce qu’on a l’impression qu’il vient de s’y passer quelque chose. Mais quoi exactement ? « Toute idée psychologique devra être produite par le spectateur lui-même », écrivait Hopper de ses propres peintures. « C’est une peinture narrative qui refuse de donner les clés. Ses peintures suscitent le doute, la perplexité et l’inquiétude. Nous étions retenus par ce que nous reconnaissions : nous nous retrouvons captivés par ce qui nous échappe », en dit  Alain Cueff.

Vous allez prendre le temps de bien observer la reproduction de « Nighthawks » (un peu modifiée, pour être libre de droits d’auteur) et laisser venir tout ce que vous croyez y voir, au-delà du visible de la peinture elle-même. À partir de maintenant, vous en savez plus que Hopper qui a laissé ses personnages en suspens, ou que Jean-Philippe Postel sur le tableau de Van Eyck. Vous vous racontez une histoire en découvrant le décor et les personnages que vous voyez, et vous leur donnez vie. Et c’est cette histoire-là — une petite fiction —, que vous allez écrire en une courte scène prise sur le vif. C’est donc à un travail d’invention d’une scène que vous allez nous livrer, en toute liberté, et en un maximum de 1500 signes (soit un feuillet standard).

Lecture 

La lecture de L’Affaire Adolfini m’a captivée. Ni essai ni étude, ce « roman d’investigation » de Jean-Philippe Postel est plutôt un jeu de piste en 160 courtes pages, une enquête, une dissection, dans lesquels on est embarqué comme dans un polar. L’auteur n’est ni critique ni historien de l’art, mais médecin généraliste à la retraite (né à Paris en 1951-. Il définit L’Affaire Arnolfini comme l’application à une œuvre picturale des méthodes de l’observation clinique attentive. Il examine le tableau sous l’angle du contexte historique et culturel, il en scrute chaque détail à la loupe, ou plutôt au scalpel, en décryptant les leurres et les symboles semés par l’artiste sur sa toile, à l’image d’un roman policier à énigmes. Nous allons de découverte en découverte, chacune amenant de nouvelles pistes, de nouvelles hypothèses et de nouvelles interrogations. Le tableau prend corps, son histoire se révèle de façon limpide et les personnages prennent vie devant nous. Ce tableau a soulevé beaucoup de curiosité : on y a vu des significations multiples. Une scène de mariage, de fiançailles, de chiromancie, une moquerie envers un mari bourgeois cocufié. Le lecteur finit par croire à cette conviction de l’auteur, que le tableau recèle d’authentiques secrets. Cette investigation brillante trouve son écho dans la citation en exergue de Jean-Martin Charcot : « Regarder, regarder encore, regarder toujours, c’est ainsi seulement qu’on arrive à voir ».

Solange de Fréminville conduit des ateliers d’écriture à Paris pour Aleph-Écriture, notamment un atelier ouvert en librairie et l’atelier « Écrire avec les auteurs contemporains ». Elle anime des formations d’animateurs d’ateliers d’écriture.

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