Martin Drouot : « Écrire un scénario c’est ouvrir un imaginaire »

Qu’est-ce qu’écrire pour le cinéma ? De la construction de l’histoire à sa mise en images, la formation « Scénario » d’Aleph-Écriture sera animée par le réalisateur et scénariste Martin Drouot du 22 Janvier au 19 Juin 2022 à Paris. Une occasion unique de se former avec ce réalisateur de quatre court-métrages, co-auteur d’une dizaine de scénarios dont celui de « L’ Amour des hommes » de Mehdi Ben Attia. Nous l’avons rencontré.

L’Inventoire : Comment vous est venu le goût de l’écriture cinématographique ? 

Martin Drouot : J’ai commencé très tôt – vers 12 ans – à écrire des personnages et des dialogues. J’avais un petit théâtre de marionnettes et je jouais aussi avec des peluches en leur donnant des rôles. Cela aurait pu me pousser vers le roman ou bien sûr le théâtre, mais au même moment je découvrais le cinéma. Pendant mon adolescence, j’allais au cinéma plus de trois fois par semaine – un cinéma arts et essais venait d’ouvrir près de chez moi, en banlieue parisienne – et je voyais au moins un film par jour en VHS. J’ai pris contrôle du magnétoscope et j’enregistrais tout : films récents, grands classiques…

L’écriture du scénario est sans doute venue de mon goût du cinéma et de mon goût de l’architecture secrète. J’aimais l’idée de construire et de rêver l’ensemble de l’iceberg, y compris la partie immergée que le spectateur n’allait pas voir. Évidemment chaque métier travaille cette partie, mais pour l’écriture cela représente au minimum deux ans de travail, c’est titanesque. Le scénariste est celui qui connaît le mieux le réalisateur, ne serait-ce que parce qu’il passe tant de temps avec lui… mais aussi parce qu’il explore avec lui tous les possibles d’un film. Il y a une puissance de l’imaginaire dont le film n’est qu’un lointain écho.

Je ne dirais pas qu’il faut écrire le moins possible, mais suggérer oui : ouvrir un imaginaire

Faut-il « bien écrire » pour rédiger des scénarios ou a contrario, faut-il faire l’effort d’écrire le moins possible et suggérer ?

Être littéraire peut être un vrai défaut parce qu’en lisant il peut y avoir un plaisir de la lecture et on s’imagine le résultat comme très beau, alors que le film, une fois réalisé, peut manquer de chair. S’il est trop réussi à l’écriture, en un sens, le scénario a trouvé son art : pourquoi en faire le film ? Je ne dirais pas qu’il faut écrire le moins possible, mais il faut être concis c’est certain, et suggérer oui : ouvrir un imaginaire.

Il faut qu’en lisant le scénario, les différents techniciens et acteurs aient une idée précise du film : ils doivent au final travailler sur le même, sinon le résultat ne sera pas cohérent. Mais il faut aussi laisser un espace à chacun. Si le cahier des charges est trop précis, on s’ennuie ; s’il ne l’est pas assez, on part dans de trop nombreuses propositions. Le scénario est un art de l’entre-deux.

Quelles sont les exigences propres au scénario, en termes d’écriture ?

La concision, donc. Un sens de la scène. Une faculté à dépasser les clichés et à surprendre.

Quelle est votre expérience de scénariste avec des réalisateurs contemporains ?

J’ai des expériences très variées. À chaque fois c’est différent. Avec Mehdi Ben Attia, un réalisateur tunisien, nous travaillons ensemble depuis longtemps, nous avons écrit quatre films ensemble. Nous sommes côte à côte et nous avançons dans les scènes sans parfois savoir où l’on va. C’est le personnage qui nous guide, pas un plan a priori. C’est un travail très exaltant, vraiment agréable. On est dans le plaisir du texte, des mots, mais aussi du personnage et de l’acteur. On lit tout à haute voix.

Avec d’autres réalisateurs comme Basile Da Cunha (qui est Suisse mais vit à Lisbonne), ou Benjamin Nuel (qui est un artiste, travaille beaucoup sur les jeux vidéos et la Réalité Virtuelle), c’est différent. Ils ont un univers dans lequel je dois entrer, me glisser en catimini.

On a d’ailleurs peu travaillé physiquement ensemble : on travaille chacun son tour. J’envoie une version, une scène, ils corrigent ou parfois ne retouchent pas du tout. Ils ne sont pas scénaristes pour d’autres, ils ne partagent donc pas toujours le plaisir de l’écriture. Pour une partie des réalisateurs, l’écriture est plutôt une souffrance, et il faut leur prouver qu’écrire mieux la scène, la réécrire, les aidera à faire une meilleure scène filmée. Et que c’est ludique.

Le type de travail et les qualités d’écoute que cela nécessite ? 

La parole, plus que l’écriture, est le principe même du métier de scénariste. Il faut écouter le réalisateur, proposer, entendre ses réserves, proposer autre chose, etc. C’est un dialogue permanent. Il faut savoir écouter ce que dit le réalisateur et aussi ce qu’il ne dit pas, souvent parce qu’il n’arrive pas à trouver les mots, ou qu’il n’a pas conscience de la force cachée de son histoire. Un scénariste fait de la maïeutique et agit pour le réalisateur comme un miroir.

Quels sont les scénarios que vous avez le plus aimé écrire et pourquoi ?

Les films de Mehdi Men Attia, L’Amour des hommes (sorti en 2018) et Aïcha (en cours de financement). Parce que j’ai vraiment vu des personnages naître sous mes yeux par les mots, au fil des versions. Il y a l’émotion d’une naissance. J’ai eu beaucoup de plaisir aussi à écrire Hôtel la série d’animation pour Arte de Benjamin Nuel (2015), parce que c’est un univers absurde, inspiré d’un jeu vidéo, très loin de moi. Je pouvais complètement « me lâcher », proposer des dialogues absurdes et/ou philosophiques, et Benjamin les gardait, en faisait quelque chose. Il y avait un vrai plaisir de casser les codes.

Faut-il avoir une idée de scénario préalable pour assister à cette formation ?

C’est mieux, mais pas nécessaire. Il est plus facile d’apprendre à écrire si on a quelque chose à écrire de spécifique. Si c’est trop abstrait, le passage à la pratique sera moins probant. Mais l’idée de scénario peut venir entre la première session et la seconde par exemple.

Avez-vous une approche à « l’américaine » du scénario (les 5 étapes) ou êtes-vous ouvert aux formes plus « à la française » du cinéma d’auteur (qui ne comporte pas toujours une dramaturgie propre menant au climax) ?

Je ne crois pas vraiment à une méthode unique. Je crois qu’il faut piocher et trouver sa propre méthode. Par ailleurs, je ne sais pas ce que c’est que les « 5 étapes » et je trouve que le bon cinéma d’auteur comporte toujours une dramaturgie qui mène au climax.

Si on prend les « pères » du cinéma d’auteur, Truffaut et Godard en tête, leurs films sont très pensés, et il y a une vraie montée dramatique. Et même chez des cinéastes qui défient l’art du scénario – Chantal Akerman, Apichatpong Weerasethakul, pour ne citer que deux de mes préférés – il y a une construction émotionnelle. Je crois qu’un film fini, même quand il s’éloigne du narratif, repose toujours sur la construction d’une émotion, d’une expérience, ne serait-ce que parce que le film est fait pour être vu dans un temps donné. Il y a un début, un milieu et une fin, et si le film est réussi, il aura transformé le spectateur.

Je crois qu’un film fini, même quand il s’éloigne du narratif, repose toujours sur la construction d’une émotion, d’une expérience

Vous avez commencé, avant la Fémis, par des études de littérature où vous avez écrit un mémoire sur « Kerouac et Cassavetes : l’éphémère ». Est-ce toujours des univers qui vous inspirent dans l’écriture d’un scénario ou la réalisation d’un film ?

Kerouac sans doute pas, c’est tellement ancré dans un paysage et une histoire spécifiques aux Etats-Unis. Cassavetes, oui, à chaque scénario ou film, j’y pense, j’y reviens. Les personnages sont tellement vivants et incarnés dans son cinéma. Quant à l’éphémère, comment parler d’autre chose ?

DP

Une femme sous influence
« Une femme sous influence » de John Cassavetes. Visionner sur ce lien: https://www.youtube.com/watch?v=b-8rvQek4n0&t=15s