Mehdi Ben Attia : « Le cinéma, un art du portrait en mouvement »

Scénariste et réalisateur, Mehdi Ben Attia a réalisé notamment « Le fil », « Je ne suis pas mort », et « L’amour des hommes ». Mehdi Ben Attia animera le cycle de formation « Écrire un scénario » du 13 janvier au 26 mai 2024. Il nous parle ici de sa manière d’aborder le cinéma, un art du portrait.

L’Inventoire : Vous animez prochainement un cycle long d’initiation à l’écriture du scénario. Chacun de vos films se déroule autour d’un personnage principal dont vous déployez la problématique à travers une histoire. Concevez-vous le cinéma comme un portrait ?

Mehdi Ben Attia : Un art du portrait en mouvement, oui. J’aime beaucoup cette phrase de Manoel de Oliveira, dans son dernier film, Visite : « Il faut peindre les visages comme on peint les fleurs : après l’orage. » Mais un personnage doit évoluer, le point d’arrivée doit être différent du point de départ, sinon l’histoire ne sert à rien. Cela étant, le cinéma est un art qui permet de regarder les êtres de très près, je dirais même qu’il nous permet d’appréhender les personnages par leur point de contradiction.

L’Inventoire : La première image de « L’amour des hommes » est celle d’une photographie que prend l’héroïne d’elle-même, voilée. On la verra dévoilée ensuite, s’emparant de la place de l’homme en le photographiant, double audace. Pourtant, le prix à payer semble en être la solitude obligée. Pensez-vous qu’il y a toujours un prix à payer et qu’il est toujours élevé pour être libre ?

Mehdi Ben Attia: Non, je ne crois pas que la solitude soit obligée, ni même subie, je pense que c’est un choix. En tout cas, la solitude du personnage de L’Amour des hommes est un choix instinctif en même temps que conscient. C’est d’ailleurs la solitude d’une femme qui aime les gens, je ne la conçois pas en termes de prix à payer. Je pense en outre qu’au cinéma, un personnage n’est jamais seul, parce qu’il est sous les yeux du spectateur, qui est son confident privilégié, le témoin empathique de toute son évolution.

L’Inventoire : Pensez-vous que le portrait de cette femme libre aurait été possible à réaliser à Tunis aujourd’hui ?

Mehdi Ben Attia : Le film n’est pas si ancien ! Oui, bien sûr, je le crois. Même si la Tunisie est en crise économique et politique ces temps-ci, il n’y a pas de recul sur le plan des mœurs. Ce qui a été conquis grâce à la révolution (je simplifie) a encore cours. Je touche du bois.

Je suis « du côté de la
question ».

L’Inventoire : Un de vos thèmes récurrents est le thème de la filiation. Dans « Je ne suis pas mort », il y a cette réplique : «  je n’ai pas toujours été un bon père, mais toi, tu peux être un bon fils ». Comment être le bon fils d’un mauvais père ? Une injonction contradictoire.

Mehdi Ben Attia : Contradictoire, assurément. C’est ce qui la rend intéressante. Je suis « du côté de la question ». Peut-on être le bon fils d’un mauvais père ? Je suis très content que le film vous inspire l’envie de poser cette question. Ma réponse est plutôt oui. Quand on a été un fils mal aimé, on a envie de se faire aimer, donc d’être un bon fils. Mais ce n’est que mon avis, je ne suis pas certain qu’il soit intéressant. Il m’importe davantage de donner à réfléchir que de répondre aux questions.

L’Inventoire : Dans ce film, un jeune étudiant de sciences politiques, qui fuit le père toxique, « devient » son professeur à l’occasion de la mort de celui-ci (comme une transmutation).. mais ce dernier a aussi un père horrible. J’ai l’impression que vos héros échouent souvent à ne pas devenir leur père, même si tout ce qu’ils mettent en œuvre pour sauver leur peau s’inscrit dans ce programme ambitieux. Est-ce une fatalité  ?

Mehdi Ben Attia : Je crois que je préfère ne pas savoir.

L’Inventoire : La seule solution pour s’en sortir est-elle de faire des livres ou des films ?

Mehdi Ben Attia : La seule ? Non, sûrement pas. En tout cas, pour s’en sortir financièrement, c’est une très mauvaise solution.

L’Inventoire : Quel sera le thème de votre prochain film ?

Mehdi Ben Attia : Sans en dire trop, mon prochain film se passe en France et s’appelle « La Honte ». C’est encore la folie identitaire, s’y déploieront encore les passions funestes : la trahison, la jalousie, la colère, la haine, l’esprit de vengeance, la paranoïa, la honte… On va bien rire.

Merci.

Photo de Mehdi Ben Attia. Copyright photographe : Patrick Hadjadj

Toutes les informations sur le cycle scénario ici.

Mehdi Ben Attia a réalisé trois longs-métrages :
Le Fil (2010), avec Claudia Cardinale, Antonin Stahly et Salim Kechiouche ;
Je ne suis pas mort (2013), avec Mehdi Dehbi, Maria de Medeiros et Emmanuel Salinger, grand prix du meilleur film français au festival Premiers Plans d’Angers, sélectionné à la Berlinale (Forum) ;
L’Amour des hommes (2018) avec Hafsia Herzi.

Mehdi Ben Attia, scénariste et réalisateur, est né à Tunis en 1968. Après des études d’économie et de sciences politiques, il a co-réalisé avec Zina Modiano le court-métrage En face (1999, 26 minutes). Il collabore ensuite à l’écriture notamment de Loin (André Téchiné, 2001), La Vie privée (Zina Modiano, 2005), Sweet Home (documentaire de Fatma Cherif, 2007), Impardonnables (André Téchiné, 2011) ainsi qu’à des séries télévisées (H, Sami, Groupe flag…). Mehdi Ben Attia a réalisé trois longs-métrages : Le Fil (2010), avec Claudia Cardinale, Antonin Stahly et Salim Kechiouche ; Je ne suis pas mort (2013), avec Mehdi Dehbi, Maria de Medeiros et Emmanuel Salinger, grand prix du meilleur film français au festival Premiers Plans d’Angers, sélectionné à la Berlinale (Forum) ; L’Amour des hommes (2018) avec Hafsia Herzi. Il intervient entre autres à l’ESEC (École supérieure d’études cinématographiques), à l’INA et à la CINÉFABRIQUE à Lyon.

Entretien paru une première fois en novembre 2022 sur L’Inventoire.