Richard Marie

La jeune fille reconnut la ruelle qu’elle avait empruntée la veille et allongea le pas pour ne pas arriver en retard. Le portail était ouvert cette fois-ci, ce qui la rassura car elle n’envisageait pas de se trouver encore une fois à la porte, seule et oubliée. Elle le passa donc et avisa l’escalier en colimaçon puis l’ascenseur qui la mena jusqu’au quatrième étage. Chaque pallier franchi était agrémenté de plantes vertes qui donnaient une impression de foisonnement généreux. Carine comptait les étages, impatiente de retrouver sa nouvelle amie.

Elles s’étaient rencontrées cet été à Valence sur la route de retour des vacances : Carine poirotait en plein soleil depuis une éternité et commençait à désespérer quand une Mini s’était arrêtée.

– Montez, avait lancé une belle femme d’âge mûr en baissant sa vitre.

Carine s’était installée à la place du mort sans même s’enquérir des intentions de son hôte. Peu lui importait : elle voulait avant tout quitter ce rond-point où elle avait l’impression d’être reléguée au rang d’un vulgaire insecte pris dans un vrombissement infernal. Ce n’était peut-être pas l’emplacement idéal pour faire du stop, mais il fallait bien se poster avant l’entrée de l’autoroute pour avoir des chances d’être embarquée. Les voitures filaient, les vacanciers s’empressaient et elle était quantité négligeable au milieu de ce ballet incessant.

Carine s’était sentie instantanément bien dans la voiture de Charlotte qui l’avait accueillie avec un grand sourire : cheveux blonds lissés, teint halé, robe légère d’un mauve lavande, elle en imposait avec ses bagues et breloques.

Elles avaient fait connaissance : Carine était infirmière et vivait seule dans un studio en banlieue parisienne, Charlotte était veuve, elle occupait un appartement près de la Tour Eiffel. Elles avaient papoté de tout et de rien et le trajet avait paru court. La voiture était confortable, la climatisation une bénédiction, la boite à gants regorgeait de friandises. Elles avaient promis de se revoir mais leur premier rendez-vous avait curieusement échoué.

Carine actionna la sonnette et attendit. Un frôlement de pas se fit entendre et la porte s’ouvrit.

– Ah voilà ! cette fois-ci tu n’as pas oublié !

– Mais Charlotte j’étais là hier, j’ai sonné, je suis restée devant le portail !

– Tu as dû te tromper d’heure certainement, enfin peu importe, entre donc et mets-toi à l’aise. C’est fou ce que tu me fais penser à ma fille ! En plus gentille, parce qu’elle, c’est une ingrate ! Tu nous sers à boire ?

La sonnerie du téléphone retentit et Charlotte s’enferma à l’écart pour y répondre. Carine remplit deux verres posés sur la table basse. Elle s’installa dans le canapé en cuir blanc sans oser boire. De grandes baies vitrées donnaient sur le Champ de Mars où se promenaient quelques passants. Le salon lui parut incroyablement luxueux, avec ses meubles design dont les lignes sobres ressortaient magnifiquement sur les tons fauves des différents tapis. Un tableau parmi tous ceux qui occupaient les murs attira son attention: selon l’angle d’où elle l’observait, le portrait pouvait sembler cordial ou menaçant.

– Me voilà ma chère petite, où en étions-nous ?

– J’ai servi à boire

– Ah oui, c’est ça. Que me vaut le plaisir de ta visite ? Tu as quelque chose à me demander peut-être ? Nous sommes amies, nous pouvons nous rendre des services !

– Je suis venue comme promis !

– C’est bien de tenir ses promesses. Ça me montre que je peux compter sur toi ! J’en suis ravie, tu es vraiment charmante et bien élevée.

– Merci. Cet appartement est magnifique, poursuivit la jeune fille, intimidée par les compliments et par le faste ambiant.

– J’y vis depuis 26 ans ! Un très bon achat que nous avions pu faire grâce à feu mon mari. Tu sais que je loue des chambres, l’appartement est immense. Est-ce que tu sais faire la cuisine ma jolie ?

– Je me débrouille.

– Une jeune fille débrouillarde, juste ce qu’il me fallait !

Carine se demanda si elle devait se réjouir d’une telle remarque.

Quelqu’un toqua à la porte et la maîtresse de maison l’invita du regard à aller ouvrir, ce qu’elle fit sans protester. C’était la voisine du dessus, une femme âgée qui tenait en laisse un chiwawa. Elle les rejoint dans le salon et s’installa sans façon. Les deux dames se mirent à évoquer leur prochain voyage, une croisière en Atlantique prévue dans deux mois. Il fallait organiser la garde de leurs animaux domestiques, et justement, Carine tombait bien, le petit chien semblait l’avoir adoptée. Charlotte lui tapota familièrement le dos :

– J’ai une chambre libre, je peux te la réserver, tu y seras bien mieux que dans ton petit studio de banlieue. C’est cadeau pour toi ma petite fille, minauda-t-elle, nous allons faire de grandes choses ensemble ! tu pourras toi aussi me rendre de menus services : faire les courses, les repas, arroser les plantes…

Et comme l’infirmière demeurait muette, la veuve ajouta :

– Je compte sur toi pour ne pas me décevoir, tu me ferais beaucoup de peine, j’ai horreur de l’ingratitude !