Vos textes à partir de « Continuer » de Laurent Mauvignier (2/2)

Il y a 15 jours, Sylvette Labat vous a proposé d’écrire à partir du roman de Laurent Mauvignier « Continuer ». Cette proposition autour d’une phrase longue a inspiré 31 très beaux textes. Nous avons dû en choisir 13 et vous remercions de votre belle participation!

Nous les publions en 2 posts séparés pour faciliter leur lecture.

Carine Rico

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Puisque la journée est finie, j’enfourche mon vélo et me dirige vers l’avenue Foch qui se pique de lampadaires déjà en veille le long des immeubles aux angles adoucis, comme pour mieux se fondre dans la fin du jour, alors, en position de danseuse, je dépasse les autos sans pouvoir m’empêcher de chantonner la scie d’un refrain imbécile de Joe Dassin jusqu’à ce qu’un feu rouge m’arrête, mais un vif empressement, étant sans doute dû à la sensation d’une liberté retrouvée, me pousse à enfreindre l’injonction et me transformant en piéton sur le passage prévu à cet effet, je n’hésite pas à  regagner l’autre rive du carrefour, roulant en bémol, pour enfin, au bout de quelques mètres, bifurquer sur la ruelle à droite qui longe le terrain de pétanque.
Les bruits de la ville s’éteignent soudain, et le son des feuilles écrasées-craquement, crépitation, pétillement- avec les parfums émiettés de l’automne me libèrent, et me voilà, tricotant sur la pente douce qui m’amène vers la chaleur du foyer où je me projette déjà, chaussettes aux pieds, livre dans les mains, devant l’âtre flambant, puis apparait le Canigou, suspendu dans le ciel, qui me permet de puiser dans mes dernières énergies en réserve pour aborder la côte que je gravis haletant, m’époumonant, tirant le guidon pour arriver au terme de l’itinéraire routinier, vaincu, une fois de plus, à la force de mes mollets d’aciers et d’un mental à toute épreuve , car, il faut le dire, j’ai vraiment la socquette légère.

ViViane Clement

Tous les soirs, même si  le vent souffle fort, même si le ciel orangé glisse au-dessus de leurs têtes, même si les arbres grincent puis se cognent, ils se retrouvent en haut du sentier où les herbes s’enchevêtrent, où le sol se dérobe sous leurs pieds, prêts à descendre vite toujours plus vite, coudes au corps, genoux fléchis, vers le gouffre noir qui les attend tel un monstre tapi dans l’ombre épaisse des sous bois et si leur cœur cogne sourdement, ils s’élancent quand même, bondissant au dessus des ronces, au dessus des murets de pierres sèches qui quelquefois s’éboulent sous leurs pas en un bruit sourd mais ils n’entendent rien -être en bas au plus vite voilà ce qui importe -jouissant de la pénombre inquiétante où des relents de mousse et de champignons flottent dans l’air comme une odeur de décomposition  qui alimente leur imagination et leur peur.

Essoufflés, ils arrivent au creux de la combe, soulagés et silencieux -ils ne parleront pas -lèvent les yeux vers la côte qui chemine tranquillement jusqu’au sommet où un grand pin agite mollement ses branches, eux, grisés par la course, grimpent d’un pas sûr accrochant les jeunes pousses de bouleau, soulevant des odeurs de thym et de menthe poivrée, leurs corps souples se réchauffant doucement au soleil qui fait luire la colline comme du cuivre et ils sentent la sueur, la résine de pin, la poussière et sans le savoir encore – mais en le pressentant quand même -ces odeurs resteront un des plus beaux souvenirs de leur enfance.

V.C.

Geneviève Zehnder

Contourner le dôme, monstre minéral et luisant pour ensuite remonter la piste sauvage et enfin franchir le dernier col leur paraissait impossible et pourtant ils étaient déterminés à défier à nouveau le froid, à affronter cette bruine dont on ne prenait garde au début –avec un peu de chance, elle ne se transformerait pas en neige avant la nuit- mais qui petit à petit, insidieusement, traversait les vêtements, glaçait l’âme et le sang, transformait le sentier en un cloaque boueux dans lequel chaque pas devenait torture et bien sûr ce furent les enfants qui trébuchèrent les premiers et les mères tentaient bien de les encourager et les pères de les porter d’un rocher à l’autre, de les pousser le long du raidillon avec des « hop ! » et des « ho hisse ! » pour les encourager mais avec l’altitude, les souffles se firent courts et au fil des heures leurs exhortations se transformèrent en un lancinant murmure épuisé.

Cependant, chacun, du plus jeune au plus âgé, s’accrochait aux parois, s’agrippait aux blocs rocailleux, longeant les abimes, escaladant les ravines et malgré la peur, malgré l’épuisement, ils souriaient car ils le savaient, ils approchaient du lac et lorsqu’ils furent arrivés au sommet, que les dentelles de brouillard s’effilochèrent pour laisser place à une lumineuse étendue d’eau grise, lovée au pied du glacier, recrachant de part et d’autre des cascades de torrents joyeux et cristallins qui caressaient la forêt, cathédrale verdoyante, ils surent qu’ils étaient sauvés.

G.Z.

Alice Hiver

Papillon

Un regard en direction du cadran au-dessus du bassin suffit à lui donner un sursaut d’énergie, celui dont elle a besoin pour son sprint final car elle sait, maintenant que la ligne se vide des nageurs qui reprennent le chemin du bureau — le temps pour eux de faire mousser le gel-douche, sans pouvoir tout à fait éliminer cette odeur de chlore qui va persister dans le creux du coude, et même taquiner le fond de la gorge, jusqu’au soir — maintenant qu’ils lui ont laissé la voie libre et que l’eau lui semble plus fraîche et enveloppante, elle savoure ce moment, elle sait, galvanisée, que d’un coup de talon ferme elle va se propulser dans le couloir, fendre l’eau de son corps fuselé, pour enfin ouvrir grand ses ailes de papillon.

C’est un fracas assourdissant ­— l’immense chuintement d’une infernale lessiveuse qui s’emballe comme elle rabat la roue des épaules et des bras, enfonce la tête sous l’eau, embrasse la belle ivresse de l’immersion ­— tout autour d’elle bouillonne, gronde, éclabousse : c’est une tempête effervescente qu’elle traverse à grands coups de fouet, enchaînant les ondulations d’un corps élastique heureux de crever le tourbillon des bulles, jusqu’à la dernière traction, jusqu’à l’ultime flexion, après quoi elle se laisse filer en douceur sur le dos dans une langueur retrouvée, une accalmie, une détente d’abord lourde, puis cotonneuse, suspendue dans l’infini et seulement interrompue par le contact de ses longs doigts contre le carrelage du rebord.

A.H.

Françoise Blanc Rouffiac

Ils sont au bord du lac, au-dessus du village de montagne aux maisons serrées qu’ils ont traversé difficilement puis suivi la route de plus en plus étroite jusqu’à ce qu’ils posent leur véhicule et qu’ils continuent à pied en admirant le paysage grandiose, les sommets déchiquetés de pierre noire, les pentes couvertes de neige et, plus bas, les prairies ponctuées de mille fleurs aux couleurs éclatantes sous le soleil et dans l’air frais du matin, jusqu’à ce qu’ils découvrent le miroir de la nappe d’eau qui capte la beauté des sommets lointains, renversant le monde sur lequel se penchent les herbes folles.

Ils suivent le sentier qui contourne le lac, frôlant l’eau où plongent les grenouilles, ils grimpent de pierre en pierre sur ce chemin tracé depuis tant d’années, à peine modifié par l’alternance des saisons, ils prennent de la hauteur, le lac ne semble plus qu’une flaque d’eau, ils ralentissent leur rythme, contrôlent leur souffle, font une pause pour calmer leur cœur, pour s’extasier devant ces montagnes sauvages, contempler la multitude des fleurs, blanches narcisses, boules jaunes des trolles, gentianes bleues, ils repartent vers ce sommet qu’ils ont décidé de vaincre, qu’ils vaincront, même si la pente est raide, même si le chemin est glissant, ils se concentrent, ne pensent plus qu’à voir où ils posent leurs pieds, ils contractent leurs muscles, soufflent, soufflent encore, jusqu’au bout où ils découvrent d’autres sommets, d’autres vallées, ils sont arrivés !

FB

Chantal B.

L’excursion

L’affiche donne envie : gravir la montagne en train, prouesse rendue possible grâce au travail acharné de centaines d’ouvriers qui ont risqué (voire perdu) leur vie il y a deux cents ans, pour faciliter l’accès à une carrière à présent fermée, rouler sur cette voie unique frôlant la verticalité des parois rocheuses qui plongent vers le néant abyssal, puis traverser la vallée encaissée par un viaduc aérien – le clou de l’attraction – d’où la vue sur l’infini permet d’apercevoir un lac grand comme la mer.

Dans le wagon, nous sommes serrés sur de mauvaises banquettes de bois, les mains agrippées à l’armature de l’assise, les voitures grincent avec la courbure des rails, nos corps tendus oscillent en phase avec le balancement du train, l’allure est poussive, la pente raide, l’appréhension palpable, les regards portent vers les à-pics rocheux, nature minérale incisive ; alors que le rythme s’accélère, nous retenons notre souffle, le train lance sa course sur une ligne droite et d’un coup dans ce capharnaüm de crissements métalliques, un silence brutal nous happe : suspendus à des centaines de mètres au dessus du vide, instinctivement collés aux vitres au coude à coude, faisant corps avec les montants, nos yeux fous cherchent à se remplir de cet ultime paysage, tout voir, tout mémoriser très vite, quand brutalement le relief nous rattrape, la montagne nous avale, puis la tension diminue, nous reprenons nos places, submergés d’une émotion partagée où nous ne faisions qu’un.

C.B.

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