Vos textes à partir de « Il me faut te dire » de Arlette Farge (2)

Il y a 15 jours, Solange de Fréminville vous a proposé d’écrire à partir de l’ouvrage d’Arlette Farge, Il me faut te dire (Éditions du Sonneur, « Ce que la vie signifie pour moi », 2017). Parmi de nombreux textes reçus, nous en avons sélectionné 22 ! Publiés en deux fois, voici les 12 suivants.

Merci à tous de votre enthousiasme !

Malie Daubiné

Photo: Danièle Pétrès

Pepe,

Tu vas être heureux, je pars.

Voilà, ma vieille mobylette ne te fera plus sursauter, plus de musique le dimanche ni de lumière le soir. Mais que ce soit dit une fois pour toutes, le soir, Pepe, je lis. Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Y a plus que toi et moi ici et toi, tu me parles pas.

Par contre, j’emmène mon vieux transistor. En toute honnêteté, tu ne peux pas l’avouer qu’il te plaisait ? Tu crois que je ne savais pas que tu te mettais dans le jardin tout contre la grille à l’heure des informations ? Même quand il gelait je t’y voyais. Ça t’aurait trop coûté de toquer à ma porte ! Et moi, pauvre folle, je gardais la fenêtre ouverte en risquant la pneumonie. Mais ça, c’est fini. A la ville, il fait moins froid et à la maison de retraite, on est climatisé.

Mon pauvre Pepe, si seul, dans notre village en ruine. C’est que ça me cause souci. Moi, je trouverai bien des motifs de chamailleries mais toi, avec qui tu pourras bien te disputer ?

Adieu donc et pourtant ça me coûte de te l’annoncer. Tu vois, presque quatre-vingts ans de voisinage, c’est quelque chose, même si on s’est battu à chaque fois qu’on s’est vu depuis qu’on sait marcher.

Dis, si je te laisse la mobylette dans le jardin, tu pourrais venir m’y voir, à la maison de retraite ? On a des choses en commun, toi et moi, qu’on aura jamais avec ceux de la ville.

Mais si tu viens pas, adieu, fais attention où tu marches quand il gèle et porte bien ton chapeau l’été.

María (celle de la maison d’à côté).

M.D.

Laurent Delegues

« Je t’ai vu naviguer dans une « mer » calme et légèrement ondulante, tu as débarqué sur cette île hostile, tu étais ébloui…

Après quelques jours où tu t’es reposé, tu repars à l’aventure, direction la terre ferme vers une destination encore inconnue…

Tu prends petit à petit tes repères, et tu décides de t’installer ici…

La maison est grande et accueillante, avec une magnifique vue sur la « mer »…

Les jours passent, tu te plais de plus en plus dans ces lieux, les gens sont attentionnés avec toi…

Tu aimes regarder la « mer », te balader, aller à la piscine, explorer cette île inconnue…mais surtout tu adores dormir…

Tu décides de perfectionner tes sens, en parcourant les cuisines du monde, en touchant avec attention les objets du quotidien, en découvrant par tes yeux innocents le monde extérieur, en écoutant tout autant Cesaria Evora que Kendji Girac, en sentant des fleurs odorantes, en respirant des parfums envoûtants…

Ton sixième sens t’amène à appréhender cet univers mystérieux avec sérénité, inconscience, impatience et envie…

Ton cheminement, tes progrès te projettent vers les hauteurs, tu te dresses…

Tes premiers pas dans la vie…

Bientôt quinze mois que tu es là…je t’aime très fort mon fils… »

L.D.

Lydia de Mandrala

Je me décide à t’écrire ces mots qui deviendront peut-être un récit. Une suite de réflexions au sujet de ce qui fait le sel de ma vie.

Je veux parler de ces sensations qui viennent quand on est dans le flow. Sur la vague. Juste à sa place. A la fois soi-même entièrement et inséré dans un monde qui semble compréhensible et clair. Sur le moment. Même si par ailleurs je sais parfaitement que ma manière d’être au monde, de ressentir, côtoyer, voir, photographier, dire, regarder et agir, est souvent incompréhensible aux autres, ou pour le moins étrange, bizarre, à côté, décalée.

Il me faut te dire comment je pense me débattre dans une vie qui est toujours compliquée, car la simplicité, l’évidence, ne me touchent jamais. Parce que je ne réfléchis ni ne vois comme la majorité.

J’ai toujours eu conscience d’être particulière. En avant. Lors de certaines fulgurances je me sentais vieille de 20 ans quand j’en avais 7. Je demandais à mes parents interloqués si eux aussi avaient l’impression d’avoir un autre âge. Ils me renvoyaient à ma condition d’enfant et j’en étais outrée. Tant d’incompréhension !

J’ai observé avec acuité les agissements, paroles, mouvements internes de mes congénères. Cherchant un sens à leurs interactions. Je les ai mimées, parfois tardivement. Sourire brave, courage. J’en arrive à me dire que, justement, je voulais trouver une signification à des actes quasi réflexes de la vie en société, effectués sans y penser.

Cette incompréhension des codes, ce décalage complet permanent, cette incapacité à créer des liens qui n’ont aucune valeur (pour se sentir humain ?), cette aptitude à voir au-delà de l’apparence des personnes, ou encore cette grande sensibilité aux odeurs, aux sons, cette rapidité de compréhension, me font penser que je suis peut-être Asperger.

L.d.M.

Marie Vicat ‪

Alliance perdue

Photo: Danièle Pétrès

Monsieur,

Je m’appelle Sylvain et j’ai cinquante-quatre ans. Vous serez sans doute étonné que je vous écrive cette lettre ; je compte que vous me fassiez la faveur de la lire jusqu’au bout.

Hier, j’étais au mariage de ma nièce, un beau mariage avec guirlandes, bougies, larmes de joie et pétales de rose. Noé était chargé de porter les alliances sur un petit coussin de dentelle et de rubans. On ne sait pas ce qu’il en a fait. Il a joué, il a oublié, il ne sait pas. Trois adultes penchés au-dessus du petit garçon de six ou sept ans crient et cajolent, supplient, secouent. Lui sanglote et morve sans pouvoir s’expliquer. Finalement, les alliances sont retrouvées ; le beau-père assène au petit Noé une torgnole qui claque et le renverse. Alors, tous les adultes tournent les talons et rentrent dans l’église en piaillant, laissant l’enfant par terre, sidéré, seul, une petite main posée sur sa joue que les larmes en ruisseaux n’apaisent pas.

Alors monsieur, j’ai revu mes sept ans, le fond du placard et les dérouillées. Et j’ai eu mal, mal à la joue, mal au cœur et l’envie de vomir. J’ai revu ma peur et toutes les lettres que je vous ai écrites. Je vous avais promis d’être sage. C’était le pacte, n’est-ce pas ? Mais vous n’êtes pas venu, jamais, et les raclées ont continué de pleuvoir plus sûrement que les cadeaux.

Alors monsieur, je vous donne du « monsieur » parce que vous n’avez pas été, vous n’êtes pas et sans doute ne serez-vous jamais le Père Noël.

Je vous hais et je tiens à vous le faire savoir.

Sylvain

M.V.

Marie Claude Saby ‪

Papa,

Il faut que je te dise : tu sais pourquoi j’ai pris ta relève ?

Je t’ai toujours entendu me dire : « Tu seras banquier ! ». Moi qui avais horreur des chiffres. J’aimais l’art. Je restais des heures à regarder le « Buffet » accroché dans la salle à manger.

Les lignes horizontales, les verticales, se chevauchaient comme nos caractères. Je te contemplais toi aussi en train de retaper les voitures entassées derrière la maison. Je sais… c’était dur le métier de carrossier, tu ne voulais pas de ça pour moi. Pourtant je souriais en regardant tes mains d’artiste.

Le jour où tu m’avais annoncé que je serais banquier, une envie folle de tordre les tôles, de les recroqueviller, les piétiner m’avait pris et j’avais tapé sur les amas rouillés leur donnant des formes surprenantes.

Tu te souviens de ce que tu avais éructé ? « Cet enfant est fou ! »

Or, ce même soir, je découvrais « La Nuit des César » présentée par Pierre Tchernia. Tu te rappelles papa de cette sculpture ? Je t’avais crié : « C’est ça que je veux faire ».

Tu t’es levé et… tu m’as giflé en vociférant : il n’est pas fou cet enfant, il est taré ; c’est sûrement pas moi le père !

C’est pour ça que je suis parti papa, non pour la gifle, mais pour la phrase. Oui, je t’ai volé l’argent que tu cachais dans ta boîte à outils. J’ai découvert la capitale, les musées, les expos et j’ai rencontré le grand César, j’ai touché de mes doigts gourds le prestigieux trophée et j’ai demandé au Maître de le seconder. J’aurais voulu que tu me voies, que tu sois fier de moi. César m’a trouvé touchant et n’a pas hésité, j’étais tellement enthousiaste… mais si maladroit qu’il finit par m’engueuler. Il m’engueulait mais je m’en foutais, c’était pas comme avec toi.

Puis un jour il m’a dit : « Mon pauvre gamin, tu ferais mieux d’être carrossier ! »

Grâce à toi papa, j’ai échappé au pire, je ne suis pas devenu banquier !

M-C.S.

Marie-Pierre Chaduc

Photo: Danièle Pétrès

Il me faut vous dire,

Ma douce amie, arrivé à ce point-là de notre histoire il me faut vous dire avant que les ténèbres ne s’emparent de votre esprit, je n’aime que vous, je n’ai jamais aimé que vous, je vous aime plus que ma mère, plus que ma vie, vous êtes les yeux par qui je vois le monde, vous êtes le regard qui m’a fait naître, vous m’avez appris la vie, les couleurs, la joie, l’amour, j’ai tout appris de vous, les caresses, les promenades au petit matin dans la campagne, je prends vos mains dans les miennes, je tente de les réchauffer et l’entreprise est plus périlleuse que le nourrissage de l’oiselet tombé hier du nid, vos mains sont fragiles, constellées de taches brunes, elles reposent sagement sur le lit blanc comme des esquifs inutiles, rêvant de la montée des eaux, vos mains parlent pour vous, elles remplacent vos pauvres mots qui s’échappent en désordre de vos lèvres, je vous aime tant, vous êtes encore là mais c’est comme si vous n’étiez plus là, j’ai convoqué tous mes mots pour vous dire, je vous aime, je vous aime tant, je voudrais tant pouvoir vous réchauffer, réveiller l’eau de votre regard, ranimer en vous la flamme de l’esprit, je voudrais vous emmener dans notre maison en Toscane, vos mains m’appellent et j’accours pour les saisir, les porter à mes lèvres, les couvrir de baisers affolés, vous gémissez faiblement dans votre demi-sommeil, vous vous retournez et déjà vous n’êtes plus, ne me restent que vos mains comme un oiseau mort que je caresse en vain.

M.-P.C.

Marie-José Gilardi

Ce soir, il me faut te dire, t’écrire ce que je n’ai pas le courage de t’expliquer en face, en te retrouvant dans la chambre.
Enterrer Jérôme… Pour tes soixante ans, tu t’en souviens comme on l’a charrié sur son embonpoint et son éternel régime… un jour. L’infarctus, lui, ne s’est pas fait attendre. Tout à l’heure devant les pelletées de terre qui l’ensevelissaient, notre vie disparaissait. Pour toi, moi et Charlotte ; elle partageait tellement avec lui, son parrain.

Devant le cercueil qui s’enfonçait, je l’ai regardée, elle, blottie contre toi. Son visage d’ado s’est révulsé sous le coup d’une violence qu’elle ne pouvait plus contenir. A cet instant, c’est lui que j’ai vu. Jamais je n’avais autant perçu leur ressemblance. J’en ai été bouleversée. La vie venait de surgir à nouveau. Jérôme à travers Charlotte, c’est lui toujours. Lui son père. Lui reconnaître cela c’est l’inscrire totalement avec nous, dans notre famille. On avait décidé qu’on t’en parlerait, on avait le temps, parce qu’au fond, on pensait que ça n’avait pas d’importance. Il était heureux de te voir jouir de ta paternité.

Mes mots sont brutaux. Tu vas m’en vouloir mais je me sens dans une nécessité sans échappatoire. Pour lui, pour nous. Je t’aime comme jamais je ne t’ai aimé. L’amour. C’est ce qui compte par dessus tout, n’est ce pas ? C’est toujours ce que tu me dis.

M-J.G.

Muriel Oldfield

Je vais te dire…

Photo: Danièle Pétrès

Je ne sais pas si je dois te dire. Peut-être devrais-je te laisser haïr en paix, triturer des blessures jusqu’à ce que ta souffrance soit intolérable, à moins de la vomir sur quelqu’un, sur moi. Sauf erreur de ma part, je suis seule à te servir d’exutoire.

Je sais ne pas vouloir te dire, au fond, quel ange mélancolique tu fus, abimé d’hospitalisme et de soins incessants. Ton visage triste disait j’ai quatre ans mais c’est déjà trop tard. Tu te balançais, dans ton lit, contre les murs, pleurais en silence, souffrais, sans aucun doute, et dépérissais à vue d’oeil. Exemple princeps de la pâleur, petit gavroche exsangue et muré de silence, imbibé de larmes.

Je veux te forcer à entendre qu’au long de tout ce temps, je t’ai bichonné, surveillé, la sueur essuyé, je t’ai soutenu, accueilli, entouré, un peu sadisé parfois mais pas trop, je t’ai aidé à dire qui tu étais, bref, je t’ai aimé. Je ne dormais pas de peur que tu ne meures, je t’offrais des cadeaux, des heures de jeu, je te rassurais, j’étais là pour toi.

Et maintenant à toi de me dire pourquoi tu t’es mis à me haïr un jour, à démolir publiquement et méthodiquement toute ma vie. Ta-mère-la-vraie s’en est sortie avec quelques égratignures alors que j’étais battue à mort. A toi de me dire aussi pourquoi, face à la maladie mortelle qui me touche, tu restes silencieux. Ta-mère-la-vraie enjolive ce silence, elle s’en fout.

Je ne connaitrai pas mes petits enfants, je ne connais pas tes enfants.

Laisse-moi te dire, mon frère : Est-ce bien raisonnable ?

M.O.

Nicolas Castano ‪

Pourquoi te dire,

Lettre à la bête

Tu es la bête agitée. Je le sais, je le sens. Je t’observe. La bête qui tourne et tourne encore, allant venant dans son espace clos. Je le sais, je le sens, je voudrais comprendre. Tu sembles affolée parfois ; tu ne peux pas me voir, prisonnière de ton carcan de peau.

Pourquoi la bête, aux allures sauvages ?

Tu es chien, tu es chat. Tu es ours et tu es loup, biche ou rat. Tu es l’arbre et la forêt, et la terre, et le souffle des rois. Tu es comme une flamme primordiale, ton œil est plein, qui brûle parfois. Mais tu restes une bête qui gît en moi.

Pourquoi te dire ? Car tu es la bête qui écrit. Alors vas-y. Sors, cours, rugis ! Tu restes à imaginer ce qu’il y a au-delà, tu as mieux à faire ! Réveille-toi, enfin ! A force du même geste, le sillon que tu arpentes sans cesse devient trou et deviendra tombe. Tu ne le vois pas ? J’en ai assez. Tu dois partir. Avant la prochaine nuit. Tu dois fuir, pour savoir être libre. Cette lettre, c’est me renverser moi. Dans ma peur et mon envie. Vas-y bête ! Tu es moi, maintenant deviens toi.

N.C.

Solange Jarry

Lettre à Antonio Lobo Antunes

Le 2 novembre 2012, j’ai lu dans le monde que vous aviez décidé de poser votre crayon. Vous aviez écrit dites-vous tout ce que vous aviez à dire. Vous ne vouliez plus de ce labeur, plus de cette souffrance. A 71 ans, vous aviez fait votre travail, vous vouliez profitez de votre retraite comme n’importe qui.

Mais vous n’êtes pas n’importe qui. Vous êtes cet auteur que j’admire depuis le soir, où dans un café littéraire, j’ai entendu un homme lire le «  Livre des Chroniques ». Le couple de vieux qui mange la soupe, sur le buffet les photos des tantes, un portail se ferme, une ombre dans le jardin, un fils regarde…

On vous dit peu disert, assez froid, ennemi de toutes les compromissions. On dit aussi que vous en avez voulu à Saramago  de vous avoir volé le prix Nobel en 1990. Pour moi, son écriture ne peut rivaliser avec votre style si particulier.

Fernando Pessoa a créé Lisbonne, avec vous je m’y promène. Phrases inachevées, parenthèses, tirets, je croise des vies fragiles et des monstres, votre univers est le mien.

Mais c’est autre chose qui me pousse à vous écrire. Il y a quelques années, quand je suis allée au Portugal, vos compatriotes m’ont immédiatement reconnue – j’étais des leurs – confirmant les histoires que je me racontais enfant.

Je ne crois ni en Dieu ni en la réincarnation. Mais se pourrait-il quand même que dans une autre vie, votre pays ait été le mien ? Se pourrait-il que cette langue que je ne connais pas – je lis vos livres dans leur traduction française – ait été un jour la mienne ? Cela m’amuse de penser, contre toute rationalité, que nous nous sommes croisés à Benfica ou sur les bords du Tage dans un âge où nous n’existions pas. Et ce seraient ces lieux, qui habitent votre écriture, qui vous rendraient familier.

Je laisse cette lettre inachevée. Je vous l’enverrai quand j’aurai épuisé tous les sens possibles d’une œuvre dont je ne me lasse pas, c’est-à-dire jamais.

S.J.

Véronique Guerville

Il me faut te dire

Si je sais la beauté d’une rose

Si les carillons aux clochers des églises m’émeuvent tant

Si l’odeur des confitures en train de cuire fait remonter en moi l’enfance enfouie

Si le chant du merle arrête ma course

Si les coquelicots au champ de blé en Juillet m’éblouissent

Si la balance «Roberval » aux plateaux de cuivre est toujours dans ma cuisine

Si mes armoires sentent la lavande

Si je cours les brocantes à la recherche de l’objet oublié

Si l’éclat d’yeux bleus fixés dans mon regard me donne des élans de tendresse

Si dans mon jardin l’été je joue avec les enfants avec ta dinette en porcelaine

Si un moment j’ai rêvé élever des poules et pourquoi pas des lapins

Si je garde précieusement des bouts de dentelles, de rubans et des boutons

Si le canapé de mon salon est rouge

Si ta photo toute jaunie reste sur le coin de ma cheminée

C’est que tant que je vivrai tu seras vivante.

V.G.

Véronique Hallo

Jugement

Sophie, jeune Sophie, si jeune Sophie,

Encore une nuit infernale pour moi. Tu as dû en avoir de pareilles, de pires même.

Ne juge pas ma lettre trop vite. Il ne s’agit nullement de te présenter mes excuses. Comment le pourrais-je ? Ni de te demander pardon, je ne me pardonne pas moi-même.

Mais peut-être dois-je te raconter le récit de l’accident (de la tragédie) de mon point de vue, depuis mon angle mort ? N’est-il pas temps ? Les premières semaines j’en aurais été incapable, dans mes cauchemars ne revenaient que des odeurs, je n’arrivais pas à les associer à cette soirée-là, c’était trop brutal. Puis est venu le déni.

Tu as dû passer aussi dans les mains (les oreilles) de tant de psychologues. « Vivre avec », ce qu’ils répètent tous alors que c’est vivre sans …

Mon psychiatre m’a déconseillé de t’écrire mais je ne le fais pas pour moi, pour « du mieux ». Il me faut t’écrire par nécessité. Ce récit hors de moi ne peut aller que vers toi.

Il y a toutes les circonstances atténuantes, tu les connais, mais il y a surtout mon énervement, mon impatience. C’était la première fois que mes supérieurs ne m’encensaient pas là où je misais sur une réussite à ériger en modèle. J’ai perdu les pédales cette soirée-là. Littéralement. Quand j’ai vu une silhouette, ta mère, avancer sur la chaussée glissante, j’ai freiné. Accéléré. Tout s’est mélangé.

La Cour a conclu à un accident. Je suis coupable.

V.H.

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