Vos textes à partir du roman de Marie Nimier « La Plage »

Il y a 15 jours, Juliette Rigondet vous a proposé d’écrire à partir du roman de Marie Nimier « La Plage » (Gallimard, 2016). Voici les 6 textes que nous avons sélectionnés. Merci à tous de votre participation!

 

Jean-Marc Garriga : Koma-Kino

Station Désastre. Je descends du métro. Au pied des marches qui mènent à la surface siffle une bise sournoise.

Je me demande s’il est encore ouvert.

Ce serait bien s’il était ouvert, car je n’ai aucun autre endroit où aller pleurnicher.

Je ne veux pas souiller mon petit appartement tout blanc Ikéa. Mon appartement doit être positif, comme dans les magazines de déco.

Quand je ne vais pas bien, quand Laure ne veut plus me voir tout nu (elle ne veut plus me voir du tout en vérité), je vais au Koma-Kino, le vieux ciné dans ce coin de Paris, qui sait encore rester un village.

Je vais revoir les Damnés de Visconti. Le film passe ici depuis sa sortie, quand le formica, les néons du Koma-Kino étaient rutilants.

A la caisse, depuis la retraite de Jeannette, la caissière à forte poitrine, les employés se succèdent dans la petite cabine, avec le même manque de motivation.

Je vais me blottir au dernier rang, dans le coin, contre le mur couvert de moquette élimée, en regardant Helmut Berger en nazi décadent. Je suis un grand romantique moi, le dernier de Paris. Ou au moins, de mon arrondissement.

Laure, avec son envie de bébé, elle était trop dans la vie.

Quelque chose bouge devant. Il y a un couple au premier rang.

Des gens heureux, c’est dégueulasse.

Ils sont venus perturber l’ordonnancement sacré de ma séance mensuelle. Le rite est cassé.

La fille aux cheveux longs qui était penchée sur le garçon pour je ne sais quelle vulgaire pratique baveuse, se redresse.

Laure m’a-t-elle reconnu dans le noir ?

J-M. G.

Cathy Fourne

Photo: DP

Elle était arrivée par la route de la digue de laquelle on apercevait la villa majestueuse édifiée par son grand-père. Sa mère n’avait jamais voulu s’en séparer, même quand elle était devenue trop vaste pour elle. Elle aurait aimé  se promener sur la plage, se retrouver toute petite à regarder l’empreinte de ses pas dans le sable  humide, mais elle se contenta de marcher dans les flaques d’eau laissées par la marée sur le chemin. Lorsqu’enfin elle leva les yeux vers l’escalier tournant, elle remarqua une des fenêtres de la baie vitrée en bow-window donnant sur la mer. Elle était grande ouverte. Il lui sembla même que de la musique s’échappait d’une radio. Elle resta stupéfaite. Qui était là ? Pas un instant, elle n’aurait pensé qu’elle pourrait ne pas  être seule dans la maison. Chez elle maintenant. Elle se rappela alors les quelques mots échangés avec le curé après la messe. Sur le ton de la confidence, il avait mentionné une femme. Elle aurait été très proche de sa mère pendant tout ce temps où elle, elle n’était pas revenue en France. Son imagination s’envola. Qui était l’étrangère ? Qui était cette intruse qui prenait sa place ? Mais que voulait-elle ? Toute la détresse, les frustrations oubliées de l’enfance la submergèrent et soudain, elle se tendit. Était-ce là une dernière ruse de sa mère ? Elle serra machinalement le jeu de clés au fond de sa poche et elle se prépara à livrer une ultime bataille.

C.F.

Corinne Perret-Thomas : Le petit déjeuner

Photo: DP

Avant huit heures, pendant les vacances, la cuisine lui appartient.
Dans la pièce silencieuse, ses pensées vagabondent librement alors qu’elle dispose le petit déjeuner sur la terrasse. C’est le seul moment de la journée où tout est possible, où les idées jaillissent avec une acuité surprenante.
Assise devant le paysage montagneux, les jambes dépliées, elle réchauffe ses doigts au contact de la tasse de thé. Alors, dans son dos, vient le bruit à la fois discret et tranchant de la baie vitrée qui glisse dans son ornière. Une petite main timide vient questionner son vieux pull en laine et la petite bouche dit : « j’ai faim ».
Pourquoi ne se tourne-t-elle pas pour l’accueillir au moment même où elle a entendu son pied nu frotteŕ le teck de la terrasse ? Elle se souvient qu’elle n’a jamais déjeuné avec son père le matin. Le parfum de la mousse à raser passait sous la porte de sa chambre puis elle l’entendait confectionner son repas avec méticulosité. Il mangeait dans le plus grand silence et elle comprenait toute l’audace qu’il aurait fallu pour pénétrer dans son monde matinal. Elle aussi avait faim dans son lit, mais elle avait appris à refouler les gargouillis en rêvassant jusqu’au signal du champ libre.
Elle se tourne donc vers le petit oiseau affamé, ouvrant ses bras pour l’asseoir sur ses genoux et le réchauffer. Comme un prélude à de plus grands plaisirs, elle lui laisse tremper les biscottes dans son thé encore chaud.

C.P.T.

Delphine Duhoux : Le tournis des émotions

Rien n’a changé depuis la semaine passée.

Majestueux, il est là, protégé derrière sa bâche transparente.

De loin, on distingue les formes inertes, fidèles au poste. De vulgaires convoyeurs de gosses, la nuit les a transformés en majestueuses créatures à l’arrêt.

Pas un cri de gamin en goguette, pas d’encouragement parental, pas d’odeur écœurante de Barbapapa. Le lac d’Annecy tout près, au loin la montagne, imposante.

L’immobilité nocturne du vieux carrousel contraste avec les incessants tourbillons diurnes.

Cette nuit encore, le jeune fougueux sera seul pour tourner le dos à sa rage. Son sang chaud lui a encore joué des tours. Furieux, il lève un pan de bâche et s’assoit sur son cheval préféré. C’est l’immense noir, pur-sang comme lui, seul apte à le calmer.

Juste avant de mettre sa main sur le cœur pour l’entendre battre de moins en moins vite, son regard est attiré par une silhouette humaine. Exaspéré, il se lève d’un bond pour chasser l’intruse.

Mais il se fige sur place, interpellé par ce qu’il voit. Comme dans une église, il se rassoit, humblement. Frappé par la force mystique de l’octogénaire.

Dans une posture hiératique, sagement assise sur le cheval blanc, elle ne l’a pas vu. Des larmes coulant sur ses joues, elle sort un harmonica de sa poche et joue « la vie en rose », d’une justesse admirable.

C’est la première fois depuis longtemps que le jeune se relâche et pleure, sans se brider.

Peu lui importe si l’octogénaire le remarque…

D.D.

Janie Den Boher : Désespoir

Photo: DP

Elle presse nerveusement l’accélérateur pour sortir plus vite du parking de l’autoroute, échapper aux claquements de portières, aux visages excédés de chaleur, aux poubelles débordantes. L’enfer ! Elle roule enfin vers le calme et la solitude de la garrigue desséchée par l’attente d’une pluie trop longtemps absente.

Elle prend à pied le petit chemin qui zigzague entre les oliviers. La colline se fait raide, plus raide que dans son souvenir. Les cailloux maltraitent ses chevilles, les ronces labourent ses bras nus. Le cri d’un oiseau effarouché écorche ses oreilles. Les herbes du talus libèrent des odeurs apaisantes de thym, de romarin.

A chaque détour du chemin, elle espère le toit rose de la maisonnette aux volets définitivement clos. Mais les virages se succèdent, identiques. Heureusement, pas de trace de pas dans le chemin. Pas le moindre mouchoir ou papier de bonbon. L’endroit est toujours désert. Les années n’y ont rien changé.

Elle savoure le silence, cette solitude enfin totale. Elle sait que dans un moment, devant la maison, le corps rompu de fatigue, elle s’écroulera sur le banc de pierre chaud de trop de soleil. Les souvenirs viendront, les larmes sûrement. Elle pourra même hurler sans déranger personne.

Le toit est enfin en vue quand jaillit un cri d’enfant, joyeux, insouciant. Ses oreilles lui jouent sans doute un tour. Qui amènerait un petit en cet endroit si sec et désert ? Mais là, au milieu du chemin, une tache colorée, comme insolente, un jouet oublié.

La déception la prend à la gorge. Il y a bien quelqu’un. Et comme pour n’en laisser aucun doute, une femme se penche à la fenêtre et crie un prénom. Une voix sereine.

L’étrangère se laisse tomber à terre. Les larmes lui viennent, et l’envie de s’endormir là, dans l’herbe sèche, comme un animal malade, jusqu’à la nuit.

J.D.B.

Régine Zeidan : Mars

La femme enjambe la rambarde. C’est une affaire entre elle et elle. L’eau frémit, doux clapotis. Le bateau tangue légèrement. Un objet heurte le plancher.

Qui va là ?

Des coquelicots par brassées affluent aux joues de la clandestine qui, gorge serrée, ventre noué, reconnait la voix… Accents chauds de chocolat…

Le revoir, non ! Ni personne !

C’est le bateau qu’elle vient embrasser le temps d’une nuit à son bord… Pressée de se lover au creux du bois dur, dans le cordage, les leurres, la promesse d’une cotriade, elle n’a pas imaginé qu’il puisse être là. C’est le souvenir du marin la serrant fort dans ses bras, l’abreuvant de mots d’amour qu’elle vient choyer ici, pleurer… Et peut-être abandonner à la chanson des pare-battage… C’est seule et à la proue aux douces arabesques qu’elle compte s’endormir…

Il est là et tout capote !

Elle avait hésité avant d’entreprendre le voyage, choisissant le soir pour complice et couverture.

Courant en sortant de l’autocar, elle avait senti la mer, bruissante et noire, profonde comme la nuit que ses pas de voyageuse croquaient. La brise portait les effluves d’essence, de mazout capable d’arc en ciel, au soleil… Un goût d’huitre sur la langue ! Et tout hier là ! Brutalement, dans un vertige… Lui, son rire chaud, ses vastes épaules… Un ciel à lui seul.

Très vite, le port aux lumières vacillant dans l’humidité, la course des nuages percée par le diamant d’une étoile… Apercevant ce signe, elle avait eu du courage. Un sourire avait accosté ses lèvres, juste avant la piqure de chagrin à l’approche du lieu.

La femme avait reconnu le ponton, numéro 7, le bruit des lattes de bois sous les chaussures, le balancement du pont… Les cordes en guise de rampe…

R.Z.

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