Écrire à partir de « L’enfant dans le taxi », de Sylvain Prudhomme

Tout le mois d’octobre, Sylvie Neron-Bancel vous propose d’écrire à partir de L’enfant dans le taxi, de Sylvain Prudhomme (Les éditions de Minuit, 2023). Nous vous proposons d’écrire une scène, où se joue quelque chose d’important entre deux personnages, et où l’un deux, « fier d’avoir osé », transgresse un interdit et assume les conséquences de ses actes.

Vous pouvez poster vos textes (1500 signes maximum) sur Teams Inventoire jusqu’au 5 NOVEMBRE 2023 (prolongation du délai initial). En fichier Word, interligne 1,5, caractère 12). Si vous êtes déjà inscrit sur notre plateforme il vous suffit de vous connecter, sinon, vous pouvez utiliser ce lien et vous inscrire gratuitement : Bulletin d’inscription sur la plateforme de l’Inventoire. 

Le livre

Simon découvre le jour de l’enterrement de son grand-père, Malusci, que celui-ci a eu un fils avec une jeune femme allemande. Une histoire tenue secrète depuis soixante ans dans sa famille. Ce ne sont ainsi pas quatre enfants que cet homme a eus, mais cinq. Simon, qui est écrivain, ne cesse dès lors de penser à cet amour entre cette jeune allemande et Malusci, soldat dans les troupes alliées à la fin de la guerre et à ce fils M., né de leur union. Cette histoire l’obsède.

Alors qu’il vient de se séparer de sa femme au bout de vingt ans de vie commune, le narrateur va entreprendre un premier voyage en voiture avec ses deux fils au bord du lac de Constance, pour partir à la recherche de celui que sa famille a ignoré. Une véritable enquête prend forme, malgré l’hostilité de sa grand-mère.

Le sujet

C’est un roman sur le mythe familial, qui interroge la place que l’on occupe dans une famille. Mais c’est aussi un roman qui parle d’amour, de séparation, de la complexité des sentiments, de la vulnérabilité des êtres. Le narrateur mélancolique, redevenu solitaire, interroge la constance de l’amour. Il y a des passages troublants où l’on perçoit la fragilité de Simon et de sa femme, qui ont décidé de se quitter et pourtant semblent continuer de s’aimer.

Ici, il distingue ceux qui parlent de ceux qui se taisent.

On retrouve dans ce roman, le charme de l’autostoppeur Par les routes (prix Fémina), qui sillonnait la France à la recherche de visages inconnus, et de liberté. L’auteur distinguait ceux qui partent et ceux qui restent. Ici, il distingue ceux qui parlent de ceux qui se taisent.

En partant à la recherche de celui qui n’a pas de visage, ni de voix dans sa famille, il tente d’écrire une histoire manquante : « Je me suis demandé quelle vérité je voulais qu’il me dise. J’ai songé à mon métier d’écrire ». Simon ne se contente pas d’un monde tel qu’il est, il a besoin pour le rendre habitable de le « rêver autre, de le triturer ». C’est un personnage qui cherche comment le mouvement rend possible la réparation.

Comment le mouvement rend possible la réparation : l’écriture

Style

Dans le chapitre un, on revient à la scène de l’enterrement du grand-père : « Est-ce qu’un membre de la famille ou un proche souhaite dire un dernier au-revoir au défunt, pas de regret plus personne ne veut prendre la parole ? avait dit une ultime fois le type au costume sombre ». Cette demande est réitérée plusieurs fois comme si le type des pompes funèbres avait pressenti qu’il y avait encore quelque chose à dire, avant de refermer la tombe. L’oncle de Simon, Franz, n’osera pas dire ce qu’il sait pendant la cérémonie, mais il le fera juste après. La scène est drôle et tragique à la fois.

Retours à la ligne, phrases coupées, parenthèses très longues, on suit le déroulé de la cérémonie avec travelling arrière sur le grand-père, on vit le regret de celui qui n’a pas osé prendre la parole au cimetière, on est traversé, terrassé par ce secret que Simon reçoit d’une façon abrupte. On sent ici la force d’une écriture en mouvement, qui se met à la hauteur des personnages, qui suit leurs circonvolutions. L’auteur nous embarque dans un courant fort. Le style est vif, poignant, très sensible.

Extrait 

Prologue

  (…) Et puis d’un coup elle le voit qui est là, qui la regarde, tout proche. Posté au carreau de la cuisine, depuis un moment peut-être. Elle sursaute. Elle sourit. Elle lui fait ce geste. Un signe de la main qui dit : viens. Un signe sans équivoque, avant même de l’avoir voulu, qui ne peut que vouloir dire ça. Et puis elle se retourne et marche vers la grange, à l’autre bout de la cour, atteint la lourde porte en bois, l’écarte juste ce qu’il faut, se coule dans l’obscurité. S’adosse à l’épais mur. Attend. Attend dans l’odeur forte de paille remisée, de suint, d’engrais, d’outils, de machines roulées dans le purin. Écoute son pouls battre. Son sang rebondir dans ses tempes.

Elle entend les pas qui craquent dans la neige, les pas du Français qui approche, qui dans dix secondes sera là, elle le devine qui traverse la cour enneigée, les mains dans ce manteau qu’elle a nettoyé pour lui sans parvenir à le rassouplir, comme si le gel et la boue l’avaient irréversiblement durci, ce manteau qu’il ne quitte jamais, avec lequel il a fait la guerre.

Elle entend les gonds qui grincent, regarde la porte se rouvrir imperceptiblement, la silhouette de l’homme se faufiler dans le trait de lumière, rester un peu sans rien voir d’abord dans l’obscurité, appeler d’une voix hésitante son prénom.

Elle se détache du mur, vient se placer devant lui, debout de toute sa hauteur dans l’ombre. Elle sourit. Elle est fière d’avoir osé. Elle écoute le Français murmurer son prénom, le prononcer maladroitement.

Proposition d’écriture

Le livre s’ouvre par une première scène d’amour, une scène primordiale. Le narrateur : Simon, écrivain, imagine la rencontre de Malusci, son grand-père, avec la jeune allemande.

« Je ne sais pas si cette scène a eu lieu. C’est à dire : je ne sais pas si elle a eu lieu comme ça, dans ces circonstances » (…) Et il précise plus loin, je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac.  « Et que ce livre est comme un livre vers lui. » Cette phrase clôt le premier chapitre. On reprend son souffle.

Je vous propose d’écrire une scène où votre personnage se laisse emporter par les émotions, par le désir, ou la colère, ou le sentiment d’injustice, et ne s’interdit pas de transgresser, d’entreprendre quelque chose qui va contre les convictions de ses proches. L’histoire peut se dérouler dans la rue, au travail, en famille, à l’étranger ou ailleurs.

Par la description du lieu, des personnages, vous nous ferez ressentir ce qui se joue à ce moment-là, entre les personnages. L’enjeu est de donner à voir et à ressentir la situation, mais de ne pas dire ce dont il s’agit. Terminez votre texte si vous le souhaitez par « Je suis fière d’avoir osé ou Je suis fier d’avoir osé ».

 L’histoire sera écrite au présent.

L’Auteur

L’auteur part d’un matériau familial. Il avait déjà parlé de ce grand-père dans un autre de ses romans. Là, avait dit Bahi (L’Arbalète, Gallimard. Prix Louis Guilloux 2012).

Sylvain Prudhomme a grandi dans différents pays d’Afrique (Cameroun, Burundi, Niger, île Maurice) avant d’étudier les Lettres à Paris. Il est l’auteur de six romans parus à L’Arbalète, Gallimard (la plupart, primés). « Les Grands » (2014, prix de la Porte Dorée), Légende (2016, prix révélation de la SCAM), L’Affaire furtif (2018), Par les routes (2019, prix Fémina), Les Orages (2021). L’enfant dans le Taxi est son dixième roman.

L’enfant dans le taxi, de Sylvain Prudhomme, (Editions de Minuit, 2023).

S.N.B

Sylvie Neron-Bancel coordonne le programme J’écris sur ma vie et a à coeur d’accompagner les personnes qui écrivent leur récit de vie, jusqu’au bout !

Elle anime des rencontres littéraires à Lyon, (Sophie Divry, Gaelle Nohant, Gaelle Josse, Marie-Hélène Lafon, Cécile Coulon, Amélie Nothomb, Abel Quentin, Paola Pigani, Yves Ravey…) ont été ses invités.

Ses prochains stages :

Le 16 octobre, à Lyon : Atelier préparatoire « Écrire et éditer son histoire de vie ».

Du 23 au 26 octobre à Paris : « Travailler sa voix et son style » (Module 3).