Caroline Laffon: écrire un album documentaire jeunesse

 « Le grand orchestre », édité par les éditions de la Martinière jeunesse est un joli petit livre carré destiné aux enfants. Caroline Laffon y propose, à travers l’histoire des instruments de musique, de comprendre comment les sons sont reproduits par des instruments, du sifflet paléolithique aux platines des disc-jockey, en passant par le piano et le violon. Grâce à ses textes clairs, elle compose une partition limpide et aérée que Gaia Stella illustre avec douceur et modernité. À l’occasion de la sortie de cet album, L’Inventoire a demandé à Caroline Laffon quelles sont les particularités de l’écriture d’un album jeunesse.

 

L’Inventoire: Vous écrivez des livres pour la jeunesse et des beaux livres. Nos lecteurs aimeraient en savoir plus sur l’écriture de livres pour enfants, côté auteurs. Comment arrivent ces projets? Dans ce cas précis, répondiez-vous à une commande de l’éditeur ?

Caroline Laffon: Le texte du livre est une commande d’une directrice de collection chez Mango jeunesse, mais il n’a pas été publié. Au départ c’était un documentaire avec des photographies qui devaient l’illustrer. L’auteur peut donc reprendre son « œuvre » et la proposer à qui bon lui semble. Depuis quelques années, j’essaye de faire des livres documentaires poétiques, c’est-à-dire où l’illustration peut ouvrir l’imaginaire. J’aime beaucoup l’idée d’« album documentaire ». Je me suis donc tournée vers une éditrice que je connais à La Martinière jeunesse qui partage ce goût et possède une grande connaissance des livres illustrés.

Parlez-nous de cette collection. Quel est l’âge auquel elle s’adresse?

Dans notre jargon, c’est un « one shot » mais si cela fonctionne auprès des libraires, si le livre est bien accueilli, si on sent un petit frémissement et si nous-mêmes sommes contents de notre travail alors nous nous disons que ce serait chouette d’en faire un second et là les idées fusent … (souvent réussir à en faire 6 tomes est un exploit). Pour ma part, j’aime les séries et je trouve qu’en documentaire cela peut très bien correspondre au public jeunesse.

Pour ce livre, avez-vous pu choisir l’illustratrice?

Pour ce livre, j’ai fait des propositions d’illustrateurs, l’éditrice et le directeur artistique aussi mais étant au cœur de la fabrication, ils sont surtout très à la pointe des nouvelles tendances. Aujourd’hui d’ailleurs, plus personne n’hésite à travailler avec des illustrateurs étrangers, Gaïa Stella est italienne, mon illustratrice précédente était russe et vivait à New-York. Quand ils m’ont présenté son travail, j’ai été totalement convaincue. Sa ligne et sa palette douces m’ont rappelée l’école tchèque d’animation. C’est ce qui fait que ce type de dessins traverse le temps avec grâce.

Travaillez-vous en commun avec elle ou les textes et les dessins sont-ils assemblés à la fin?

Pour travailler et créer des doubles pages aussi ouvertes sur l’imaginaire, Gaïa Stella a besoin « d’un chemin de fer », c’est à dire de l’organisation des textes, de la maquette du livre, du choix du format, du grammage du papier, s’il est lisse au mat, ce qui a une grande influence sur sa technique. C’est encore un domaine qui fait appel à un savoir artisanal. Elle doit prendre tout cela en compte pour composer sa propre narration. Elle travaille vraiment comme un album où chaque page raconte son histoire tout comme la globalité du livre.

Quel est le tirage de ce type d’album jeunesse ?

C’est un tirage très confidentiel, il y a 1000 exemplaires en vente. Cela provient du fait que ce qui coûte aujourd’hui le plus cher dans un livre, c’est son stockage. En raison du prix de l’immobilier, il est moins onéreux de le réimprimer. C’est intéressant de comprendre cette notion dans l’économie du livre.

Récemment j’étais en colère de voir mes à valoir diminuer d’année en année pour le même travail. C’est étrange de faire une carrière à l’envers.

J’ai commencé par un best-seller vendu à plus de 70 000 exemplaires. Cela me paraît totalement irréalisable désormais. Là au moins nous savons que nos 1000 exemplaires sont déjà bien au chaud dans les librairies et que l’argent déboursé pour ce livre ne va pas servir à payer un entrepôt.

Ce qui est somme toute assez déprimant.

C’est un vrai choix éditorial et un partenariat avec les libraires. Ce type de livre a la chance de ne pas être renvoyé à l’éditeur dans les 3 mois. Ce sont tout de même des ouvrages qui ne se démodent pas trop et en tant qu’auteur c’est finalement beaucoup plus satisfaisant que de les savoir « pilonnés ».

Passez-vous beaucoup de temps avec l’éditeur pour fixer l’angle d’écriture, ou livrez-vous au départ seulement un synopsis, que vous développez ensuite ?

Mon écriture de documentaire jeunesse ou adulte ne varie peu. En fait j’essaye surtout de raconter l’histoire des hommes à travers des anecdotes vivantes. Ce qui m’intéresse, c’est une approche anthropologique, du sacré au trivial.

Avec les instruments de musique, j’ai trouvé très beau de commencer par le rapport primitif aux sons, comment la musique est née en écoutant les oiseaux ou les échos dans la montagne et de terminer avec les « sound systems » des ghettos noirs américains, finalement un acte politique de rébellion.

La Martinière jeunesse édite-t-elle beaucoup de livres jeunesse ? De livres pour enfants ? Y a t-il plusieurs éditrices qui s’en occupent? (je dis éditrices, car j’imagine qu’il y a surtout des femmes…)

Il y a de nombreuses éditrices, mais allez savoir pourquoi la personne qui s’occupe exclusivement des romans est un homme. J’ai un rapport privilégié avec plusieurs d’entre elles mais je ne les connais pas toutes. Il se trouve d’ailleurs que les éditeurs changent souvent de maison d’édition et ce sont finalement des interlocuteurs d’une grande fidélité (quand les rapports sont harmonieux). Il y a un directeur éditorial qui chapeaute l’ensemble de la production mais à la Martinière jeunesse, les éditrices ont la chance de pouvoir travailler selon leurs coups de cœur une fois les titres choisis.

Quelle est votre prochaine collaboration avec cet éditeur ?

Nous nous lançons dans « la grande cuisine », ou comment de simples recettes, ustensiles ou rites culinaires nous racontent le métissage et les voyages entre les peuples et les continents. Une histoire de l’humanité vue à travers nos assiettes !

Propos recueillis par Danièle Pétrès

Le Grand Orchestre

  • Album: 64 pages
  • Tranche d’âges: 9 – 12 années
  • Editeur : De la Martinière jeunesse (6 septembre 2018)
  • Collection : Documentaire

Caroline Laffon est née à Cayenne, en Guyane. Elle a beaucoup voyagé. Elle est l’auteure de nombreux livres sur l’imaginaire dans les différentes cultures du monde, traduits dans plusieurs langues. Elle est également documentariste, écrit des romans jeunesse, des fictions pour la radio, les musées, le cinéma ou encore  le théâtre… Elle a été lauréate de la Villa Médicis hors les Murs, de la bourse Beaumarchais/ SACD et plus récemment d’une bourse CNL pour son premier roman.