Résultats du concours de drabbles (fictions de 100 mots) – 2/2

En juillet, l’antenne rochelaise d’Aleph-Écriture a envoyé aux participants de ses activités un appel à écriture. Il s’agissait d’écrire et d’envoyer un ou plusieurs « drabbles ». Une bonne trentaine d’auteurs ont participé! Nous n’avons pas pu tous les publier, en voici donc une sélection pour L’Inventoire !

Qu’est-ce qu’un Drabble ?

Le drabble est une fiction littéraire archi-brève : contenant cent mots (le titre et le nom de l’auteur ne comptant pas dans le nombre de mots). La contrainte de la brièveté, propre à toutes les micro-fictions, en fait le premier intérêt.

Le terme vient du Grand Livre Rouge des Monty Python (1971). Dans ce livre, il s’agit d’un jeu verbal : le premier participant à avoir fini un « roman » gagne. Il est convenu pour le jeu que cent mots suffisent.

L’appel à écriture

Il n’y avait pas de thème imposé, mais un thème facultatif : « Le monde et moi, au cours de l’été 2019 ». Tous les genres, espèces et sous-espèces de la fiction étaient acceptés : autobiographie, fantasy, SF, polar, dystopie, etc.

Françoise SIMON

Le vent

C’est un vent étrange, imprévisible, qui souffle la colère, la rancune et la rébellion.

Qui souffle le froid et l’anarchie dans un pays où respire un perpétuel été, qui tourne et s’engouffre dans l’instant en bourrasques violentes, plie les cimes des palmiers, rase les arbrisseaux, et pousse l’ombre véloce des nuages sur le flanc de pentes arides.

C’est un vent qui règne, impulse son état, sa puissance, sa force austère, et fait à son image les montagnes hostiles, et le grondement des vagues qui s’y fracassent.

L’île est sauvage et peu hospitalière, bordée de sables noirs.

Ils sont venus là.

Monique RENAUDEAU

Duo

À quelques lieues de Minorque,

Rien d’autre que la mer,

Dans un bleu omniprésent, plus bleu que bleu,

Qui réinvente le ciel et l’eau.

Solitaires et pimpantes, les bouées de balisage

Murmurent à qui sait les comprendre.

Elles rêvent de partir en voyage, de quitter tout ce bleu.

Brusquement au large, tout s’agite.

Un imposant paquebot noir sculpte d’éphémères sillons d’eau.

À ses cotés surgit un mince voilier blanc.

Deux reflets sur l’eau lisse et soudain ils sont quatre.

Passagers et plaisanciers s’observent aux jumelles.

Étrange tableau, la grande gueule et le contemplatif.

Hélène BELBAS

La page blanche

La page blanche ? Non, cela ne me dit rien.

C’est la carte d’un nouveau resto ?

Un mouvement de protestation populaire ?

Comment ?

Manque d’inspiration, dites-vous. Ah ! Comme c’est étrange.

Vous parlez du mouvement respiratoire ?

Cette légère oscillation du souffle entre l’intérieur de soi et le monde extérieur ?

Cette vibration, intense ou à peine perceptible, sans laquelle la vie même serait impossible ? Manquer d’inspiration ? C’est impensable voyons. Peur de sortir ce que l’on a tapi au fond de soi, oui, je l’entends bien, mais manquer d’inspiration, manquer de souffle ?

Et expirer.

Pamela IRELAND DUFFY

Woo-oo-oo-oo !

Émilie ne l’avait jamais vue, la dame en long manteau gris avec capuche, qui traversait la cour de la maison de ses grands-parents sans jamais arriver à la porte.  « C’est un fantôme » disait les cousins « Woo-oo-oo-oo ! ».

 Trente années plus tard la maison a été vendue – histoire d’héritage : « Faut pas y aller », dirent les cousins, « le nouveau propriétaire, il casse tout. »  Mais Émilie y est allée quand même, et elle est entrée dans la cour, pour se tenir, figée, parmi les décombres de son enfance, dans son long manteau gris, avec capuche.

Jean-Claude COMPAN

Condamnations

J’ai condamné ma boîte à lettres, qui se remplissait de factures, mais ne recueillait jamais de mots d’amour. Alors les créanciers se ruèrent sur ma sonnette.

J’ai condamné ma porte, que martelaient les prêteurs sur gages, mais ne voyait jamais passer de jolie femme. Alors les huissiers m’envoyèrent la force publique.

J’ai condamné mon corps, l’offrant aux balles des pandores, faute d’offrir mon cœur aux dames de passage. Alors la Presse s’empara de mon histoire.

J’ai condamné mon sépulcre aux pleureuses chagrinées, regrettant de ne point m’avoir connu. Et déçu du genre humain, je suis parti en voyage, pour l’éternité.

Rose- Lynn CAPILLAIRE

Tout désir

Un arbre tremble, la maison frisonne… La terre bouge et la fissure s’agrandit… Tes jolis doigts ne peuvent plus rien retenir… Le paysage de ta chambre bleue s’écaille car la queue du grand orque a frappé l’eau de ton île engourdie… Un peu de poussière tremble sur le tableau et l’ombre s’évanouit… Dans les méandres du plaisir, une ville se dérobe sous tes pas, mais un bouquet fleurit ta nuit… Derrière ton visage aux alouettes, la fiévreuse galaxie de quelques grains de folie… Puis un silence assourdissant comme une claque quand la barque chavire… Enfin tu revis, c’est un nouveau livre qui s’écrit.

Colette NOYAU

Rencontre

Elle rêve, attablée à la terrasse d’un café. Il la regarde tellement qu’elle se réveille en sursaut, et se retourne en cherchant à qui peut bien s’adresser ce regard. Dans le flou elle esquisse un regard interrogateur. Il rétorque par un sourire encourageant, battant légèrement des paupières. Elle se redresse imperceptiblement, son regard encore dubitatif passe au-dessus de sa tête, comme attiré par un fait surprenant. Il se retourne alors, quelqu’un vient-il la rejoindre ? Elle prend un air amusé. Et la surprise, c’est qu’il se lève, s’approche et dit : C’est vous que je cherchais.

Christine DEMAISTRE

Road-movie

Au retour, j’ai proposé à Toto de faire le plein avant la frontière.

— On s’arrête ? Y a dix centimes d’écart sur le diesel. Et ta mère va pouvoir de se dégourdir les jambes. Hein, Mémé ?

Mais dans le rétroviseur…

— Oh !

Mémé avait la mâchoire ouverte, le regard fixe.

Ce n’est pas rien de rapatrier le corps d’un défunt alors on l’a maquillée. Avec le chèche de Toto, le tour était joué.

À la station-service, on l’a laissée dans la voiture. Lorsqu’on est sorti, plus de véhicule. Il a été retrouvé sur un terrain vague, calciné. Mémé aussi.

Christine LUMINEAU

Adieu

Il a dit qu’il partirait.

Oublier le monde, sa fureur, ses troubles. L’enfermer dans ses poings serrés.

Il marche, court, froisse l’air, écoute l’eau qui bouillonne, respire un grand coup, contourne le lac, s’enfonce dans la forêt de hêtres, entend crier le grand corbeau, continue le chemin et puis coupe net à travers bois, sent le vent dans ses cheveux, à chaque pas à distance tient le monde.

Il voit la nuit mordre le jour, s’assoit, s’adosse à un tronc, ferme les yeux, tait ses pensées, attend.

Il a dit qu’il trouverait l’autre monde. Rouvrir les poings.

Une joie humble.

Éric QUÉMÉRÉ

Paradis perdu

Il vient de s’asseoir sur un rocher pour se rechausser, et soudain l’enfant surgit, avec sa bouille ronde et ses drôles de lunettes. Pas plus de six ans, mais une voix assez forte pour crier à sa petite camarade de venir explorer la flaque gentiment laissée par la mer à ses pieds. Car pas de doute, la flaque est bien là pour lui, si fascinante que cet adulte qu’il frôle presque n’existe pas – pas plus que n’existe le reste du monde. Quelle importance, le monde, quand une étoile de mer se cache peut-être au fond de la flaque ?

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