Écrire avec Ma Reine, de Jean-Baptiste Andrea

Cette semaine, Solange de Fréminville vous propose d’écrire à partir de Ma Reine, de Jean-Baptiste Andrea (L’Iconoclaste, 2017). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1 500 signes maxi) jusqu’au 17 juin à l’adresse: atelierouvert@inventoire.com

 

Extrait

« Le ciel est devenu violet, il y avait un goût de réglisse dans l’air et je l’ai aspiré à petits coups de langue tellement c’était bon. Viviane avait fini par me rendre mon blouson et je me sentais mieux.

J’aurais voulu qu’elle reste, c’était ma meilleure amie. Rien que de pouvoir dire ça, ça me faisait gonfler de fierté. Autrefois à l’école tout le monde était meilleurs amis sauf moi. C’était comme une grande boule d’amitié autour de laquelle je tournais sans jamais pouvoir entrer. Ça me faisait penser aux anneaux de Saturne, j’en avais trouvé une illustration dans une tablette de chocolat et je l’avais collée au-dessus de mon lit. Elle y était encore d’ailleurs, juste un peu décolorée.

J’ai demandé à Viviane si elle voulait habiter avec moi dans la bergerie mais elle a répondu qu’elle devait rentrer au château, sinon la reine-mère la chercherait. Pour la retenir je lui ai demandé de me parler de son château. (…)

— C’est très grand. On mange à une table immense, servis par mille domestiques et on n’a pas le droit de parler.

À la station on n’avait pas le droit de parler non plus à cause des actualités, sinon on risquait de manquer quelque chose.

— Les domestiques sont des cygnes transformés en pages, elle a continué. Il y a mille pièces dans le château, et elles changent de place toutes les nuits. Ça peut prendre du temps de retrouver sa chambre, et c’est pour ça que parfois, je suis fatiguée le matin.

J’écoutais, la bouche ouverte. Je savais qu’elle inventait mais c’est ça qui me troublait, avec Viviane, sa façon d’inventer qui faisait tellement vrai qu’on était obligé d’y croire. J’étais un peu mal à l’aise quand je pensais aux pièces qui bougeaient, je n’aimais pas ça.

— La nuit, les lustres s’allument tout seuls, il n’y a pas d’ampoules mais des éclats de pierre de lune à la place. J’ai un lit tellement grand que je dois marcher un peu pour atteindre le milieu. Le matelas est fait de petits pois spéciaux qui poussent sur le Soleil.

Là, j’étais vraiment sûr qu’elle inventait, parce que je n’avais jamais entendu dire qu’on cultivait des petits pois sur le Soleil. »

Proposition d’écriture

Ces enfants qui s’inventent des jeux, des histoires dont ils sont les héros, sont les rois du monde, tout leur est possible, même les rêves les plus fous. Je vous propose de vous mettre dans la peau d’un enfant qui s’invente un monde avec son ou sa meilleure amie, son frère ou sa sœur, ou pourquoi pas, avec un animal familier. L’enfant peut aussi s’inventer un ami imaginaire. Leur amour ou leur amitié est plus fort que tout, leur donne toutes les audaces. Laissez resurgir votre âme d’enfant, rappelez-vous ou inventez des moments d’enfance où se confondent rêve et réalité, où vos personnages échappent au monde des adultes pour inventer le leur. Laissez-vous emporter dans leur imagination, et racontez un de ces instants, ou plusieurs, mais en une seule page de 1500 signes au maximum.

 

Lecture

Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. Il est réalisateur de films (Dead End, Big Nothing, La Confrérie des larmes) et scénariste. Cette expérience marque son premier roman, d’une écriture très cinématographique. Dès sa sortie, Ma Reine a reçu trois prix : Prix du premier roman, Prix Femina des lycéens, Prix « Envoyé par La Poste ».

Jean-Baptiste Andrea nous dit que son roman est né de la « rencontre de deux éléments : d’abord des paysages de ma région (…) C’est une Provence presque symbolique, brossée à grands traits, qui sert de décor à Ma Reine. Le deuxième élément, c’est le thème de l’enfance, qui m’est cher (…) C’est l’histoire d’une amitié entre deux enfants, sur un plateau perdu de Haute-Provence, l’été 1965. Shell, le héros, est un garçon considéré comme l’idiot du village par tous, y compris sa propre famille. Redoutant d’être placé dans un institut spécialisé, il fait une fugue et rencontre une petite Parisienne en vacances. Cette dernière, Viviane, lui annonce qu’elle est dorénavant Sa Reine, et qu’il devra la servir fidèlement. Je voulais donc raconter l’histoire d’un enfant qui lui, retient tous les bonheurs qu’il rencontre – certains sont pourtant bien minces. »

Le roman se situe dans deux décors : la station-service des parents et le plateau provençal. C’est l’histoire de deux enfants qui s’inventent un monde, d’un premier amour absolu, mais aussi de la découverte de la cruauté. Shell souhaite devenir un homme et décide de partir faire la guerre. « À force de m’entendre répéter que je n’étais qu’un enfant, et que c’était très bien comme ça, l’inévitable est arrivé. J’ai voulu leur prouver que j’étais un homme. Et les hommes, ça fait la guerre, je le voyais tout le temps à la télé, un vieil appareil bombé devant lequel mes parents mangeaient quand la station était fermée. » Mais il ne sait pas où ça a lieu, la guerre. Alors, il se retrouve sur le plateau désert. Shell et Viviane se trouvent et s’inventent un monde à eux, dans un monde à l’écart, loin de celui qui les blesse. Raconté à la première personne par ce « gosse différent », Ma Reine est un roman d’apprentissage, un conte initiatique mais aussi un ode à la liberté, à l’imaginaire, à la différence. Le flash-back que constitue la première phrase du roman annonce une chute prophétique : « Je tombais, je tombais et j’avais oublié pourquoi ».

S.d F.

Solange de Fréminville conduit des ateliers d’écriture à Paris pour Aleph-Écriture, notamment un atelier en librairie, et le cycle d’approfondissement « Écrire avec les auteurs contemporains ». Retrouvez sa prochaine formation le 1er juillet ici.

 

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