Liliane Vannier « Juste un petit tour », Laurence Longuet « Le chalet »

Ces textes ont été écrits sur une proposition d’écriture de Sylvie Neron-Bancel à partir de L’enfant dans le taxi, de Sylvain Prudhomme. Ils figurent parmi les huit textes sélectionnés.
Liliane Vannier

Juste un petit tour

Mon téléphone vibre à deux heures du matin. D’un oeil je lis un message de Chloé qui me dit qu’elle vient de s’enfuir de chez elle. Une fois de plus.

Elle m’a déjà raconté que son père picole et que sa mère se shoote aux anxiolytiques. Apparemment,

cette fois elle craque. Je lui demande par SMS où elle compte aller en pleine nuit, elle me répond que si elle disparaît elle ne manquera à personne, que son père lui a certainement cassé le poignet,qu’elle ne veut plus de cette merde-là.

Soudain, c’est comme un électro choc. Je me lève, saute dans mon jean et me glisse hors de ma chambre. Pas question de réveiller mes parents qui ne comprendraient pas. Je suis seule dans l’entrée, le coeur battant devant la clé de la Ford. Je n’ai pas mon permis mais je conduis déjà bien pour mes dix-sept ans.

Pas le temps de tergiverser. Chloé, ses mots qui sonnent différemment. Je tente de l’appeler. Silence.

Dehors, un rideau de pluie se ligue contre moi mais je file à vive allure, la voiture sait d’elle-même où aller. Quelques minutes plus tard je suis sur les quais, pleins phares. Je descends et je cours comme une folle en criant Chloé ! La terreur et la pluie m’aveuglent.

Je cours je trébuche je tombe je me relève et je hurle.

Cette fille au bout du ponton, bien trop près du bord. Elle se retourne et me voit. Je suis comme une furie, et peu importe si j’ai oublié le frein à main, que la voiture vient de s’encastrer dans un poteau.

Je sais maintenant que Chloé ne sautera pas dans l’eau noire et glacée.


Laurence Longuet

Le chalet

Je me souviens des pas feutrés dans la douceur du manteau blanc poudreux recouvrant tout, de l’odeur de l’huile de tronçonneuse et de celle du sapin fraichement coupé.

Je me souviens de ce moment tant attendu et redouté, hésitante et fébrile devant cette porte close. Le cœur battant à tout rompre, je suis là figée par le doute et le désir.

Je frappe doucement puis de plus en plus fort, jusqu’à ce que la porte s’ouvre enfin.

Il est là, imposant, de sa force tranquille, vêtu de douceur et d’élégance, m’invitant à rentrer d’un sourire tendre et bienveillant.

Je me souviens de son odeur mentholée mêlée à l’odeur du café fraichement moulu et de celle du feu de bois crépitant dans la cheminée. De l’odeur des châtaignes grillées et des chiens mouillés couchés devant le feu.

Plus rien n’existe ailleurs, l’essentiel est là sous mes yeux, et tout autour de moi, enveloppant tout. Ma place est ici.

Je me souviens plus tard, de nos mains hésitantes et fébriles, qui se cherchent et se découvrent. De ce désir enivrant enveloppant nos corps perdus. Résistants d’abord, et retrouvés enfin. De nos souffles chauds qui se mêlent. De cette étreinte fatale venant tout changer à jamais.

Dehors, des flocons dansent devant la fenêtre, venant recouvrir les traces de mes pas dans la neige.

Le hululement d’une chouette vint plus tard saluer le crépuscule du premier jour de notre vie au chalet.

Je suis fière d’avoir osé partir, laissant tout derrière moi pour venir frapper à cette porte que je pensais close.